Jazz vocal

Il est toujours agréable d’entendre des
musiciens comme Jean-Sébastien Simonoviez (p),
Philippe Dardelle (b) et Mourad Benhammou (dms)
réunis ici autour du chanteur Maurey Richards. Leur
présence apporte l’assurance d’écouter
une musique de qualité dans un cadre convivial.
Installé depuis un an en Bretagne Maurey Richards a
derrière lui une carrière bien remplie dans la
variété de haut vol. Il était pendant, les années 80,
le soliste des Platters et il s’est produit à
Londres dans plusieurs comédies musicales. Avec ce
disque Maurey Richards aborde le domaine du jazz au
travers de standards qui font référence. Mais les
bonnes intentions ne suffisent pas toujours. Son
timbre de voix est agréable mais son phrasé reste
entaché d’imprécisions rythmiques et
d’inflexions qui surchargent inutilement sa
ligne de chant. Cela passe parfois mais devient
gênant sur Stormy Monday Blues où il force sa voix.
Bref, le chanteur de variété n’est pas loin.
Attendons le prochain disque.

Guy Chauvier nous avait dit tout le bien qu’il pensait de Veronika Rodriguez lors de la parution de son album « Paris Is You » (Jazz Classique N°36). La chanteuse s’y produisait entourée d’un remarquable octette. La voici ici accompagnée par le Côte Ouest Big Band dont elle est la voix féminine. Associant sa voix aux arrangements du leader Jean-Philippe Vidal, elle swingue avec un bel entrain et une apparente décontraction qui lui réservent une place de choix dans la lignée des June Christy, Anita O’Day, Peggy Lee et Ella Fitzgerald. Ces influences ne l’empêchent pas de trouver sa propre voie en s’exprimant de manière personnelle comme le montre son hommage à Chris Connor qui ne doit qu’à son seul talent et sa belle sensibilité. Une vraie chanteuse de jazz.

Carol Sloane est un phénomène de longévité vocale puisqu’elle a débuté dans le métier pendant les années 50. Durant sa riche carrière, elle a enregistré trente-sept albums et croisé la route des grands musiciens de sa génération. Connaissant son métier sur le bout des doigts, Carol Sloane dispose d’un vaste répertoire adapté à son tempérament. Y figurent des standards illustrés brillamment par d’autres artistes, qu’elle restitue de manière toute personnelle. Ainsi sa version de Why Don’t You Do Right se démarque de celles de Lil Green et Peggy Lee qui font pourtant référence. Le traitement en bossa nova de If I Could Love Me ne peut être que le fait d’une artiste au goût sûr. Sa ligne de chant est précise, sa diction limpide et il se détache de ses interprétations une touche intimiste au charme nostalgique. Ses accompagnateurs participent largement au climat du disque, les solos de ténor et de clarinette de Ken Peplowski étant remarquables. L’accumulation de tempos lents choisis par goût esthétique et peut être aussi par nécessité, un chant placide qui ne demanderait qu’à sortir d’une confortable sagesse et l’absence d’une quelconque prise de risques constituent les seules relatives faiblesses de ce beau disque.

Ce beau disque est le dernier opus de la chanteuse Etta Cameron décédée le 4 mars 2010 au Danemark, son pays d’adoption depuis le début des années 1970. Le recueil débute avec une version inspirée de What a Wonderful World délicatement annoncée par la sonorité voilée de la trompette de Palle Mikkelborg. Puis s’élève la voix grave d’Etta dont le chant dépouillé se joue des difficultés du tempo lent en s’appropriant un titre ressassé par tant d’autres. En quelques mesures, Etta impose le déroulé d’un phrasé maîtrisé et son sens lumineux de l’interprétation. Et tout est dit. Le même pouvoir émotionnel provenant des profondeurs du blues et du gospel se retrouve dans Careless love et God Bless the Child sur lequel plane l’ombre bienveillante de Billie Holiday. Une belle voix malheureusement à jamais éteinte.

Ce disque rend hommage au Count Basie du « Nouveau Testament » puisque y figurent des titres comme Every Day I Have The Blues, April in Paris et les fameux Lil Darlin’, Little Pony et Whirlybird composés par Neal Hefti. Conçus initialement pour un grand orchestre, les arrangements de ces morceaux, écrits le plus souvent par Neal Hefti, ont été fort habilement adaptés par Claude Tissendier au format d’un octette de structure semblable à celui que dirigea Basie en 1950. L’autre originalité du projet a été d’adjoindre au groupe une partie vocale s’appuyant sur des paroles de Jon Hendricks. Mais à la différence du trio Lambert, Hendricks & Ross dans leur fameux disque « Sing a Song of Basie » et des Double Six de Mimi Perrin, les chanteurs improvisent en scat sans reprendre les solos instrumentaux originaux. On voit donc que ces références placent d’emblée la barre très haut. Mais avec une telle équipe il n’y a rien à craindre. La réussite est au rendez-vous bien loin des sentiers battus dans lesquels se perdent trop souvent les réalisations de ce genre. Emmené rondement par une section rythmique souple et solide constituée de Jacques Schneck (p), Nicolas Peslier (g), Jean-Pierre Rebillard (b) et Sylvain Glevarec (dms), l’octette fonctionne comme une belle machine à swinguer. Galvanisés par des arrangements taillés sur mesure, Gilles Berthenet (tp), Claude Tissendier (cl), François Penot (ts), Olivier Defaÿs (bar) et Jacques Schneck (p) interviennent avec un bel à propos. Les deux vocalistes sont excellents. Chanteur attitré de la formation de Claude Bolling, Marc Thomas dispense un scat ravageur et se montre un crooner de grande envergure dans Dansez sur moi. Une grande complicité l’unit à la trop rare Michele Hendricks qui ne craint personne dans le domaine du scat dont elle est l’une des reines. Bravo.
Alain Tomas