PRIX DU JAZZ CLASSIQUE 2009 :
PARIS
SWING ORCHESTRA
Swingin’
Sidney Bechet.
Black & Blue BB 706.2.
Finalistes :
New
York Trio.
Always.
Venus Records TKCV 35418.
Biréli
Lagrène.
Gipsy Trio.
Dreyfus Jazz FDM 46050 369272.
Vous lirez ci-dessous des commentaires (les chroniques publiées dans Jazz Classique) sur les 21 CD en compétition cette année
Wendell Brunious - Sammy Rimington

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Wendell Brunious est un musicien protéiforme et, cela
ne va malheureusement pas toujours de pair, polyvalent.
J’adore quand il souffle dans sa trompette
– et dans son bugle – des ballades plus ou
moins imprégnées du souvenir de Clifford Brown mais,
enfant de la balle, Brunious connaît son jazz
traditionnel sur le bout du doigt. C’est ce
qu’il prouve tout au long de ce CD, jouant avec
une sobriété, un timing, un goût impeccables. Et son
inspiration est à la hauteur de sa maîtrise du style.
Sammy Rimington est pareillement à l’honneur. Lui
est toujours resté dans la mouvance du jazz
traditionnel. Mais son jeu a évolué au fil des années.
Fortement marqué à ses débuts par George Lewis, il a
gagné en originalité. Le plus important est toutefois
qu’il continue à s’exprimer avec la même
flamme irrésistible. “New Orleans Reunion“
est à ranger parmi les perles de son abondante
production discographique. Pour entourer les deux
leaders, on a procédé à un casting irréprochable :
Lucien Barbarin (tb), Butch Thompson (p), Lars Edegran
(bj, g), Bill Huntington (b) et Ernest Elly (dms). Si
vous êtes un aficionado, cette énumération suffit
certainement à vous allécher. Vous ne serez pas déçu.
Voilà un des meilleurs disques récents de jazz
Nouvelle-Orléans traditionnel. Je me demande pourquoi
on a attendu neuf ans pour le commercialiser.
Guy Chauvier
(Jazz Classique
n°57)
Rocky Gresset

D’étonnants
guitaristes, voltigeurs des cordes, le jazz manouche
actuel en regorge. Des voix singulières, qui se font
une place dans cette famille, la chose est plus rare...
Rocky Gresset, la trentaine, appartient à cette
dernière catégorie : une personnalité, un son tout en
nuances, une certaine douceur dans le toucher et un
sens subtil de la mélodie dans les improvisations. Pour
son premier disque sous son nom (il était de
l’aventure Selmer 607), il n’a pas joué la
carte de l’hommage ou de l’exhibition.
Rocky Gresset s’est contenté d’être
lui-même (bonne idée !) et l’apparente
hétérogénéité du répertoire (Reinhardt, Montgomery,
Petrucciani, etc.) n’entraîne aucunement le
guitariste dans un jeu à géométrie variable. A peine le
style se fait-il plus suave, plus feutré, quand Rocky
passe de l’acoustique à l’électrique...
Quand il interprète un thème (prenez au hasard Time On
My Hands), il n’aligne pas les plans que sa
technique et sa culture lui permettraient sûrement de
jouer sans effort : à ce bavardage
d’instrumentiste triste, il préfère les
atmosphères, les mélodies et la nuance... Ce
n’est pas non plus la facilité qui a guidé le
choix des titres, standards peu joués dans le jazz
manouche ou compositions personnelles en forme de
ballades. A ses côtés, des noms désormais bien connus
assurent efficacement le drôle de travail, humble et
indispensable, d’accompagnateurs dans un disque
de jazz manouche : Diégo Imbert ou Jérémie Arranger à
la contrebasse, Mathieu Chatelain à la guitare
rythmique. Quant à la deuxième voix soliste, elle sort
du violon de Costel Nitescu, qui n’apporte pas un
véritable contraste avec la guitare de Rocky Gresset
mais dialogue avec le même accent et travaille la
délicatesse du bout d’un archet émule de
Grappelli.
Un disque intime, pourrait-on dire, dans le vrai sens
du terme : personnel et profond.
Dominique Périchon
(Jazz Classique
n°58)
Marty Grosz

Marty Grosz (g, bj,
voc), Dan Block (cl, bcl, as), Scott Robinson (ss,
c-mel s, bs, cnt, echo cnt, alto horn), Vince Giordano
(b, tuba, bass s, voc), Rob Garcia (dms, glockenspiel),
Panic Slim (tb).
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Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par
faire l’apologie du texte de pochette. Marty
Grosz l’a conçu, on n’est jamais si bien
servi que par soi-même : une saynète-prologue à la
Groucho Marx, une présentation des musiciens digne
d’Alphonse Allais et un descriptif du choix du
répertoire du même acabit. C’est jubilatoire de
dérision lucide et en même temps fort instructif sur
l’origine des morceaux. Musicalement,
j’adore le style, le son de guitare de Marty, son
intelligence dans l’accompagnement qui reflètent
une grande culture du “jazz classique“. Je
ne connaissais pas le batteur Rob Garcia et je découvre
enfin un Américain qui respecte le style : un beau
son de peaux animales, il roule bien et souplement, ses
interventions de glockenspiel sont opportunes. Bref,
l’on ne pourra que regretter qu’il soit
trop en retrait au mixage. Vince Giordano est bien
connu de nos services de renseignements comme dangereux
militant de la préservation du vieux jazz. Sa
prestation aux trois basses, notamment le saxo,
participe bien à la réussite de ce CD singulier. Le
numéro de jonglage des duettistes multivents
Block/Robinson est réussi. Alors, je vais tout de même
émettre un bémol : ces duettistes, certes, assurent
techniquement, mais je trouve qu’ils manquent de
gras, de folie swingante et de chaleur colorée.
Néanmoins, ce disque frise les cerises, ne serait-ce
que par son originalité bienvenue. Merci Marty !
Marc Richard
(Jazz Classique
n°57)
Duke Heitger - Bernd Lhotzky

Enregistré les 12 et
13 juillet 2008 au Concert Hall d’Oberhaching en
Allemagne.
Le cornettiste américain Duke Heitger, natif de
l’Ohio, et le pianiste allemand Bernt Lhotzky se
livrent à l’exercice ô combien difficile du
duo !
Je connais bien Bernd, pour l’avoir
écouté
plusieurs
fois en concert, mais je découvre avec ce CD le jeu de
Duke Heitger, cornettiste à la technique solide et qui
possède une belle sonorité de cornet, un peu voilée,
bien dans la ligne de l’instrument. Son phrasé
est agréable, avec juste ce qu’il faut de
virtuosité, sans aucun abus. Quelque part entre Warren
Vaché et Ruby Braff, il y a pire comme
références ! Le seul petit reproche que j’ai
envie de lui faire, c’est d’être un peu
sage, sans surprises rythmiques ou harmoniques, mais
cela est sans doute dû aux conditions
d’enregistrement en studio où les musiciens
prennent souvent moins de risques, privilégiant la
propreté au détriment de la spontanéité.
Finalement, c’est l’impression qui se
dégage de cet album, une belle musique parfaitement
maîtrisée par ces deux musiciens de grande classe, mais
dans laquelle manque un peu l’étincelle qui nous
accroche !
Le programme est original. À côté de classiques du
stride revus pour piano et cornet tels que Fascination
de James P. Johnson, de standards tels que Lisa, How
Long Has This Been Going On ? ou Manhattan, de
deux solos de piano : You’ve Got To Be
Modernistic et Embraceable You, on trouve un air de
Carlos Gardel : Volver et une composition de Sir
Edward Elgar : Salut d’Amour !
La prise de son irréprochable restitue très fidèlement
les sonorités de Bernd et de Duke. Une rencontre de ces
deux-là en concert, fixée sur disque, est vivement
souhaitée !
François Biensan
(Jazz Classique
n°56)
Roger Kellaway

CD 1 :
Cottontail - C Jam
Blues - Someday My Prince Will Come - All My Life - I'm
Beginning to See The Light - Take Five - The Nearness
of You - Doxy.
CD 2 : Tumbling
Tumbleweeds - Cherry - You Don't Know What Love Is -
Freddie Freeloader - 52nd Street
Theme.
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Roger Kellaway (p), Russell Malone (g), Stefon Harris
(vib), Jay Leonart (b), Borislav Strulev (violoncelle).
Ce double CD de
Kellaway, enregistré en public en mai 2006, n’a
pas eu l’honneur d’une chronique dans Jazz
Classique. C’est pourtant, comme tous les
enregistrements du pianiste, un disque intéressant qui
avait évidemment sa place dans cette sélection.
Globalement, l’esthétique de cette musique est
très proche de celle de “Heroes“, CD qui
avait obtenu le Prix du Jazz Classique de
l’Académie en 2007. Les deux disques ont
d’ailleurs été enregistrés à six mois
d’interval. Ce “Live“ nous paraît
toutefois légèrement inférieur à Heroes en raison de la
place importante accordée au vibraphoniste, moins
inspiré que Malone et, a foriori, Kellaway. Le
violoncelliste n’intervient que dans All My Life,
une composition de Kellaway. C’est le seul moment
qui n’est pas du jazz.
Steeve Laffont

Avec Steeve Laffont
(“Latchès“ en 2008), le jazz manouche
s’exprime dans ce qu’il a de plus énergique
et de plus vivant. Son coup de poignet ferme et précis,
la façon dont il accentue ses phrases ou encore la
construction de ses chorus, tout concourt à faire de la
musique de ce guitariste (né en 1975) un beau moment de
joie ou de mélancolie selon les thèmes. Et la musique
qu’il compose ou improvise semble alors tomber
sous le sens, comme évidente. Mais on sait que rien
n’est évident en matière de guitare manouche et
que tout ce qui paraît simple nécessite beaucoup de
talent (et de travail). Quelle que soit
l’atmosphère, Steeve Laffont fait joliment sonner
ses six cordes et, si le tempo s’accélère (Old
Man River par exemple), ce musicien n’y voit pas
l’occasion de montrer qu’il joue plus vite
que son ombre mais fait “monter la sauce“,
joue des roulements qui ne roulent pas des mécaniques
et fait swinguer l’enthousiasme, non sans humour
d’ailleurs... Comme le jazz manouche est toujours
une histoire de famille, Steeve Laffont, dont la
famille est originaire du Piémont, s’est entouré
de ses cousins : Rudy Rabuffetti, guitariste et
luthier, et le bien connu Serge Oustiakine à la
contrebasse. Un entourage familier qui fonctionne bien.
L’invité de rigueur est le violoniste Costel
Nitescu, sur la majorité des titres, dont
l’invention mélodique cousine elle aussi avec le
style du guitariste.
Au jeu des rapprochements, c’est sans doute à la
branche Moreno,Tchavolo, Tchan Tchou que l’on
pensera le plus en écoutant Steeve Laffont, cette façon
de s’inscrire dans une tradition, de jouer sans
se poser d’autres questions que celle de la
musique qui se joue, là, à l’instant présent.
Dominique Périchon
(Jazz Classique
n°58)
Bireli Lagrène

Plage 11 : Tiger Rag.
N’importe quelle anthologie de guitare digne de
ce nom (tous styles confondus) devra désormais inclure
cette interprétation : la virtuosité, le swing et
l’imagination s’y retrouvent, ficelés avec
humour, pendant les 2 minutes 47 les plus réjouissantes
qui soient. Biréli s’amuse, nous surprend à
chaque coin de chorus, balance des breaks inattendus et
jamais identiques et conclut avec naturel par quelques
mesures de valse. Il y a alors quelque chose de la
fantaisie et de la verve d’un Bernard Addison
chez Biréli.
Revoici donc Biréli Lagrène. Celui dont le nom, pour un
large public, symbolise à lui seul le jazz manouche,
celui qui cristallise toutes les représentations
qu’on peut se faire de cette musique. Celui dont
on a dit, une fois pour toutes, qu’il était le
meilleur. Podium tellement pratique pour les médias (et
pour certains amateurs : c’est rassurant, les
classements). Il faut dire que le jeune homme a mis la
barre tellement haut, et depuis si longtemps,
qu’on n’attend plus de lui une musique
«simplement» brillante mais on compte bien qu’il
nous emmène sur des chemins qui ne ressembleront à
aucun autre. Son Lullaby Of Birdland est teinté de
blues, son Limehouse Blues fait dialoguer la guitare
avec la contrebasse de Diégo Imbert, le choix de thèmes
peu joués ravive le répertoire manouche et donne
l’occasion de s’aventurer sur des harmonies
nouvelles mais pas hostiles au style de Biréli,
notamment le beau Something de George Harrison. La
formule du trio (Hono Winterstein est, bien entendu
– et on l’entend bien – à la guitare
rythmique) laisse reposer tout le travail du soliste
sur les épaules de Biréli ; en contrepartie, il offre
un grande liberté et une large place à la créativité.
Biréli Lagrène use donc de l’une et de
l’autre avec le talent que l’on sait, avec
cette envie d’aller voir ailleurs qui le
caractérise, sans jamais rompre avec la tradition.
Enthousiasmant.
Ce serait presque parfait... Car le CD contient une
innovation : le “malus track“. La dernière
plage du disque peut surprendre : Be My Love, rengaine
sentimentale arrosée à la guimauve en son temps par
Mario Lanza (dont Jerry Lewis tira un sketch,
c’était trop tentant) est ici chantée par...
Roberto Alagna ! Oui, le fameux ténor d’opéra...
Si vous aimez les grandes voix lyriques à la Luis
Mariano, si vous aimez le bel canto sonore, si vous
aimez les rencontres insolites entre les machines à
coudre et les parapluies, alors seulement vous serez
conquis par cette... expérience.
Dominique Périchon
(Jazz Classique
n°58)
The Eddie Metz Jr Trio

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Le titre de l’album est particulièrement
bien
choisi, et reflète en tout
point la personnalité des deux principaux
protagonistes, E. Metz lui-même et Rossano Sportiello,
le fantastique pianiste du trio. Le premier mot qui
vient à l’esprit, à l’écoute de cette
galette, est perfection, suivi de feeling et swing, et
la présence à leurs côtés de la bassiste Nicki Parrott,
d’origine australienne, selon mes sources, ne
perturbe en rien cet ordre des choses. Elle achève de
séduire l’auditeur par un vocal d’une très
chaude sensualité dans une composition de Burt
Bacharach : One Les Bell To Answer, et quelques
chorus de basse bien plus qu’honorables.
L’utilisation de ce répertoire vous laissera
judicieusement penser que ces musiciens sont dépourvus
de tout sectarisme. A côté de standards confirmés, on
trouvera des compositions de Stevie Wonder, Steely Dan
ou Gino Vannelli, pour une sorte de cousinage avec Pink
Turtle. Mais, comme j’ai pu le constater,
saxophone en main, à Bréda, il y a quelques années, ces
garçons sont pétris d’histoire du jazz autant que
de technique, et savent propulser un soliste bien
au-delà de ses performances habituelles, grâce à leur
fabuleuse science du swing. Les deux heureux élus
(cobayes, invités, partenaires etc.) pour
l’occasion, eux-mêmes extrêmement méritants, sont
le sax ténor Harry Allen et le tromboniste John Allred.
Allen évoque Ben Webster, Stan Getz, Paul Gonsalves,
voire le phrasé de Gerry Mulligan ; Allred, le
bien nommé, virtuose à la mise en place impeccable,
bluesy en diable, évoque seulement le top niveau en
matière de trombone mainstream, et l’on peut
aisément deviner que son talent ne doit pas
s’arrêter là. L’ensemble du CD reste fidèle
à l’esprit d’un concert en club, permettant
au leader de nous faire déguster son incroyable sens de
l’accompagnement, notamment aux balais, qui fait
rêver n’importe quel soliste. Quant à Rossano,
son toucher, sa pertinence, son feeling, sa discrétion,
sa mise en place, bref, tout m’enchante chez lui
au plus haut point : vite, un kilo de cerises pour
ces magiciens !
Daniel Huck
(Jazz Classique
n°55)
Laurent Mignard Duke Orchestra

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La musique d’Ellington est immortelle. Privilège
de l’âge, contemporains du Duke, il nous a été
donné d’entendre l’orchestre en direct et
d’être littéralement soufflés et émus par la
puissance de chacun de ses musiciens, les couleurs
chatoyantes et multiples des ensembles, le swing qui se
dégageait de cette formidable machine dans toute sa
superbe et sa magnificence… Les disques,
certains fort bien enregistrés, rapportent fidèlement
toutes ces qualités irremplaçables des
“spacemen“ mais, on ne le répétera jamais
assez, rien ne saurait remplacer l’écoute en
direct. La musique s’écoute, certes, mais elle se
regarde aussi, se vit pleinement dans l’échange
entre musiciens et publics. Le Duke Ellington Orchestra
faisait aussi spectacle. Et quel spectacle ! À
l’exigence à la fois charmeuse et implacable du
chef répondait la grandeur des solistes créant avec un
naturel déconcertant, parfois même avec des attitudes à
la limite de la désinvolture, la plus belle des
musiques… La musique d’Ellington
était-elle donc condamnée à ne survivre à ses créateurs
que par le disque ?
Le Duke Orchestra de Laurent Mignard nous incite à
penser qu’il n’en est rien. Ce n’est
pas là le moindre de ses mérites. À l’instar des
grands compositeurs de l’histoire de la musique,
celle d’Ellington / Strayhorn peut être
interprétée. Il y faut du respect, de l’humilité,
une grande culture, une haute technicité pour obtenir
un résultat acceptable. Ce qui est vrai de Mozart, de
Beethoven, de Ravel ou de Bartok l’est aussi
d’Ellingron. Faire vivre l’œuvre de
l’un des plus grands compositeurs du siècle passé
est assurément un devoir. C’est la mission que
Laurent Mignard a proposée à une belle phalange de
jazzmen, tous admirateurs incontestés et, certains
d’entre eux, reconnus de longue date comme
spécialistes de l’œuvre. Le résultat,
obtenu après un travail de recherche sérieux et une
grande exigence artistique, est à la mesure du pari. Ce
disque, enregistré en direct au cours de deux concerts,
en est le témoin.
Après une première écoute, je n’ai pu
m’empêcher de comparer avec l’original,
allant même jusqu’à pousser le vice dans
l’alternance de l’audition de l’une
des versions d’origine avec celle de
l’orchestre français. Vaine et désolante
tentation d’incorrigible amateur ! Une
écoute plus distanciée, raisonnée, je l’avoue,
finalement plus libre, m’a enfin permis
d’en goûter toute la substance. C’est alors
seulement que sont apparues toutes les vertus de cette
formation susceptible de perpétuer dignement
l’œuvre du Maître. C’est alors encore
que, faisant fi de toute comparaison, j’ai goûté
à la spontanéité des solistes qui, dans la révérence,
savent apporter leurs voix originales (Philippe
Milanta, Bruno Rousselet, Nicolas Montier, Aurélie
Tropez…), ceux qui, transpirant la passion,
savent admirablement restituer l’accent des aînés
(Biensan, Desbois, Chagne, Richard Blanchet…).
Signalons aussi la présence de Patrick Bacqueville dans
le rôle de Ray Nance, en qualité de chanteur sur deux
titres, avec une belle démonstration de
“scat“. Mais on aimerait qu’ils
puissent aller plus loin, soit restituer le plus
fidèlement l’original et le prolonger avec une
plus grande liberté encore afin que la musique soit
reconnue non seulement comme définitivement immortelle
mais demeure pleinement vivante pour le plus grand
bonheur des plus anciens comme de ceux qui n’ont
pas eu la possibilité de vivre un concert
Ellington ! En ce sens, le formidable travail de
restitution de Laurent Mignard et de son orchestre
mérite toute notre attention et notre soutien.
L’achat de cet enregistrement contribuera à les
manifester…
Pour terminer, une remarque cependant sur certains
choix de mixage qui ne nous ont pas toujours semblé les
plus opportuns : comme la présence peu naturelle
(un peu trop soutenue) de certaines voix dans les
ensembles et le cruel manque de présence de la batterie
à de nombreux moments (dans les passages en trio
notamment, la faiblesse des cymbales dans les
ensembles). Enfin, si le choix de
l’enregistrement en direct est parfaitement
compréhensible, on regrettera l’absence des
bruits et réactions de la salle attestant du direct,
une forme d’aseptisation qui, plus ennuyeux, va
même jusqu’à la perception très relative du
chœur des musiciens en réponse aux phrases
lancées par le pianiste dans Kinda Dukish par exemple.
Des éléments qui auraient apporté de la vie et auraient
donné toute sa justification au choix du direct.
Dominique Burucoa
(Jazz Classique
n°57)
New York Trio

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Bill Charlap (p), Jay Leonhart (b), Bill Stewart (dms).
Ce dernier CD du New York Trio (le septième),
entièrement consacré aux compositions d’Irving
Berlin, n’a pas été chroniqué dans Jazz
Classique. Il est d’une qualité égale aux
précédents. Nous avions consacré deux pages à Bill
Charlap et à cette formation qui n’existe que
pour le label japonais Venus dans notre numéro 48
(novembre 2007). Vous trouverez cette étude dans la
rubrique “Archives“.
Thierry Ollé

Thierry Ollé (p),
Serge Oustiakine (b, voc), Guillaume Nouaux (dm).
Distribué par Jazztrade. Vente en ligne sur Fnac,
Alapage ou CDmail.
Né en 1970 à Toulouse, Thierry Ollé est surtout connu
des amateurs de jazz pour sa participation en tant que
pianiste au Tuxedo Big Band et aux petites formations
de Paul Chéron. Excellent accompagnateur, il a joué aux
côtés de très nombreux musiciens, notamment des
Américains de passage en France, et au sein de
différentes formations du Sud mais a aussi travaillé
dans le domaine de la chanson, notamment avec Yvan
Cujious pour lequel il a composé et arrangé. Pour le
peu que je le connaisse, Thierry Ollé m’est
toujours apparu comme un homme attentif, discret et
aimable… Il faut toujours se méfier de
l’eau qui dort ou, plus exactement, de celle qui
fait semblant ! Certains de ses solos, appréciés
ici ou là, dénotaient un sacré tempérament…
À une époque où la technique et quelques espèces
sonnantes et trébuchantes permettent à tout un chacun
de se donner une actualité artistique, ce musicien
recherché et reconnu, qui fait vivre depuis de
nombreuses années le jazz de haut niveau dans le Midi,
a attendu longtemps, avec patience et sagesse, le
mûrissement de l’enregistrement du premier disque
de jazz sous son nom.
À la réception du sobre digipack, à l’esthétique
soignée, orné d’une photo de couverture amusante,
la lecture des accompagnateurs est rassurante : deux
musiciens eux-aussi reconnus et solides. Celle des
titres l’est aussi, un peu décevante peut-être
même : de bons vieux standards. Mais, dès les
premières mesures de Careless Love, l’oreille se
dresse, excitée !
D’abord, le son du piano est beau. Il met bien en
évidence la qualité du toucher et la dynamique du jeu.
Au mixage, un choix a été fait : le piano est au
premier plan. De notre point de vue, un peu au
détriment de la contrebasse et de la batterie qui
auraient pu être remontées légèrement à certains
moments afin de donner plus de confort à
l’auditeur.
En soi, prendre les classiques de la Nouvelle-Orléans,
devenus des standards, pour se les réapproprier en
essayant de les traiter différemment, n’a rien de
révolutionnaire. Beaucoup l’ont fait et le feront
encore avec plus ou moins de bonheur. La gageure est de
parvenir à donner un sens à cette tentative de
fabrication du neuf à partir de l’ancien. Thierry
Ollé a pensé son affaire et l’on comprend
pourquoi il s’en est donné le temps.
Son jeu est nourri de nombreuses influences digérées
que sa technique exprime avec facilité : Hank
Jones, Sir Roland Hanna, Barry Harris, Thelonious Monk,
Ahmad Jamal mais aussi Erroll Garner, Gene Harris ou
Monty Alexander pour le côté le plus flamboyant... Au
fil des interprétations, sa culture les exprime avec
une rare maîtrise. Sans tentation de copie, elles
émergent avec naturel dans le flot du discours musical.
Comme tout musicien de jazz qui se respecte, ces
thèmes, nos trois compères les ont joués et rejoués des
centaines de fois. Ils les connaissent en profondeur.
Ils pourraient avoir le sentiment d’en avoir fait
le tour mais ils savent que si ce matériau a traversé
ainsi les époques, repris et illustré par les plus
grands, c’est que, intrinsèquement, sa richesse
est grande et qu’il convient d’adopter vis
à vis de lui une attitude à la fois humble et
passionnée sans exclure la créativité. Thierry Ollé
apporte sa contribution par une subtile harmonisation,
voire une véritable transfiguration des thèmes. De ce
point de vue, l’interprétation de Saint James
Infirmary ne constitue qu’une évocation de
l’œuvre originale et, avec moins de
modestie, le pianiste et le contrebassiste auraient pu
signer la pièce sans que personne n’y trouve rien
à redire !
Enfin, il ne suffit pas, pour convaincre, de prendre
des thèmes, aussi beaux soient-ils, et de les jouer du
mieux possible pour réussir un bon disque, captivant
pendant plus d’une heure ! Il faut penser le
traitement que l’on adoptera pour chacun
d’entre eux, rechercher de la diversité tant du
point de vue de la couleur que du rythme (vous en
trouverez ici un florilège), donner à l’ensemble
une cohérence, en un mot, un style. Les plus grands y
parviennent avec la fausse apparence de la facilité, en
faisant mine d’expédier une séance
d’enregistrement en quelques heures. Le croire
serait oublier le travail en solitaire et la fréquence
des concerts qui, l’un et l’autre, forgent
la pensée musicale, l’approche personnelle - et
collective dans le cas de formations régulières - de
chaque morceau.
Tout cela, et vraisemblablement beaucoup d’autres
choses encore, Thierry Ollé l’a pensé avant
d’entrer en studio les 8, 9 et 10 septembre
derniers. Et cela s’entend.
À ses côtés, la présence des deux autres musiciens
n’est en aucune manière le fruit du hasard. Comme
lui, ils partagent, les oreilles grandes ouvertes, une
même passion pour cette musique dont l’essence
demeure le swing. Elle les réunit au-delà de
l’amitié qui les lie. Cela s’entend aussi.
Serge Oustiakine donne une belle assise au trio avec
une justesse et une pulse qui réjouissent. Ses courtes
interventions en solo sont sobres et efficaces.
J’apprécie moins ses talents de chanteur (Someday
You’ll Be Sorry et What A Wonderful World) bien
que ses interventions vocales donnent une diversité
supplémentaire à l’ensemble.
Guillaume Nouaux, que l’on connaît comme
l’un des meilleurs batteurs de style New Orleans
de la planète, dévoile, à ceux qui le connaissent
encore insuffisamment, ses multiples visages. Chacune
de ses interventions en soliste réjouira par sa
richesse et sa variété…
Je n’en dirai pas plus, préférant vous laisser le
soin de découvrir par vous-même cette réussite. Courez
chez votre disquaire préféré.
Dominique Burucoa
(Jazz Classique
n°54)
Paris Swing Orchestra

Distribution Socadisc.
Voici un disque qui fait honneur au jazz français.
Bien que l’on ait déjà pu apprécier le dynamisme
et les qualités du Paris Swing Orchestra, on ne peut
qu’être agréablement surpris par la réalisation
d’un tel album. En effet, dans le cadre des
célébrations du cinquantenaire de la disparition de
Sidney Bechet, il fallait un certain culot pour écrire
des orchestrations de “tubes“ tels que
Petite fleur et Dans les rues d’Antibes ! Un
grand coup de chapeau, donc, à Marc Richard et
Jean-Pierre Dumontier. Mais, disons-le d’emblée,
cette entreprise prend toute sa valeur grâce au talent
d’un magicien du saxophone, j’ai nommé
Monsieur André Villéger.
Avant d’analyser plus en détail ces douze
interprétations, j’aimerais mettre l’accent
sur le choix judicieux des thèmes, alternant avec
bonheur des compositions de la période
“française“ de Sidney avec des morceaux de
sa période “américaine“ enregistrés avant
la deuxième guerre mondiale.
Promenade aux Champs Elysées. Dès les premières
mesures, on est frappé par la couleur sonore du big
band qui n’est pas sans évoquer la grande époque
de Jimmie Lunceford (avec un réjouissant trio de
trombones). Après une improvisation d’André
Villéger pleine de musicalité en même temps que
d’audace (Oh ! Les belles quintes
diminuées…), la promenade se conclut avec
élégance par un dialogue entre cuivres et anches du
plus bel effet.
Buddy Bolden Stomp. Après avoir apprécié le chorus de
trombone de Patrick Bacqueville (qui sait à coup sûr ce
que le mot “swing“ veut dire), je ne peux
m’empêcher d’imaginer Wellman Braud et Pops
Foster au paradis des jazzmen (je suis sûr qu’il
y en a un…) se régalant à l’écoute du
slapping de Gilles Chevaucherie. Le morceau se termine
par un solo d’André Villéger dont émane une
flamme digne du maître.
Avec Chant Of The
Night, on entre de plain-pied dans le vif du sujet. Il
s’agit bien là d’une re-création du
magnifique thème de Bechet dont Villéger a si bien
assimilé le lyrisme et dans lequel il nous gratifie
d’un solo qui met en relief
“l’esprit“ de cette musique
plutôt que d’en reprendre la
“lettre“. Soulignons au passage les
interventions de guitare enveloppées de moelleux
backgrounds de cuivres, fort bien venues dans cette
évocation des séances d’avant-guerre.
Suey est exposé par l’orchestre avec une légèreté
et une fraîcheur réjouissantes. Le vocal et le chorus
de ténor qui suit sont tout à fait dans le style des
petites formations de l’époque. On notera à
nouveau avec quel à-propos André Villéger invente des
phrases dans le plus pur esprit de Bechet.
Cette remarque s’applique également à la
composition de Gershwin, Summertime, qui, rappelons-le,
était un cheval de bataille de Sidney.
L’astucieuse orchestration de Marc Richard nous
replonge dans l’atmosphère du fameux Nightmare
d’Artie Shaw.
Pour avoir si souvent subi l’exécution des Rues
d’Antibes par des orchestres soi-disant
“New Orleans“ lors de parades ou
d’animations dans les “festivals
off“, on ne peut que se réjouir à l’écoute
de l’arrangement de J.P. Dumontier que
n’aurait pas désavoué un certain Fletcher
Henderson. En prime, nous avons droit à un beau chorus
de trompette de Michel Bonnet.
Bien que faisant référence à une formation relativement
étoffée, l’exposé de Southern Sunset en grande
formation me paraît moins convaincant. Peut-être est-ce
dû à un tempo légèrement plus rapide que
l’original. Quoi qu’il en soit, un chase
inattendu entre le soprano et la clarinette ajoute un
certain côté pittoresque à cette interprétation, mais
on s’éloigne quelque peu ici de
l’esthétique de Bechet.
Strange Fruit. Avec ce morceau qui fut popularisé par
Billie Holiday et dont Sidney avait enregistré en trio
une sublime version, nous entrons dans un univers
particulièrement envoûtant. Après une introduction de
piano pleine de poésie, Villéger empoigne le thème dans
une envolée lyrique qui souligne à merveille le côté
“tsigane“ de Bechet dans ce genre
d’interprétation.
Big Chief donne lieu à un swingant exposé par
l’orchestre sur un thème qui ne s’y prête
pas particulièrement. Après de plaisants chorus de
Michel Bonnet, Nicolas Montier et Patrick Bacqueville,
il faut souligner à nouveau avec quel naturel Villéger
improvise dans le style de Bechet.
Petite fleur. Merci au Paris Swing Orchestra
d’avoir donné une nouvelle vie à ce thème ultra
rabâché. Quelle musicalité dans l’intro au
soprano et l’exposé du thème ! Après un
superbe tutti de saxes dû à la plume de Marc Richard,
Nicolas Montier se lance dans une fougueuse
improvisation sur laquelle plane l’ombre du grand
Coleman Hawkins. Reprise du thème pleine de sensibilité
qui se termine par une fulgurante coda à la hauteur de
l’introduction.
Bonne idée que d’avoir repris ce Viper Mad qui
sent bon l’ambiance des petites formations de
Noble Sissle. C’est assurément une des plages qui
balance le plus. Bravo à Patrick Bacqueville et Michel
Bonnet qui nous restituent si bien cette atmosphère.
En attendant le jour, une des plus belles mélodies
composées par Sidney durant son séjour parisien,
conclut avec bonheur, dans un climat très Glenn Miller,
ce vibrant hommage rendu à Sidney Bechet.
Croyez-moi, chers lecteurs de Jazz Classique, il ne
vous reste qu’une chose à faire : acheter le
disque !
Gérard Badini
(Jazz Classique
n°57)
Bucky et John Pizzarelli

Bucky Pizzarelli (g),
Harry Allen (ts), Larry Fuller (p), John Pizzarelli (g,
voc), Aaron Weinstein (vl), Martin Pizzarelli (b), Tony
Tedesco (dms), Jessica Molaskey (voc), Rebecca Kilgore
(voc).
Vente en ligne sur www.arbors.com
Encore un disque de chez Arbors qui s’écoute avec
plaisir mais qui est encore loin des cerises. Certes,
Harry Allen est toujours au top, Bucky Pizzarelli joue
toujours divinement de la guitare acoustique et je
découvre avec bonheur qu’un jeune violoniste -
Aaron Weinstein - suit les traces de Stuff Smith. La
rythmique tourne bien. John Pizzarelli a de qui tenir
mais, malheureusement, il n’est pas le seul bon
guitariste de “mainstream“ actuellement et
il lui manque un rien pour atteindre le niveau des
meilleurs : l’inspiration ? La fougue
rythmique ? L’originalité ? Que
sais-je ? Trois vocalistes dont John Pizzarelli,
avec ce style caractéristique des bons musiciens
(américains) bons chanteurs occasionnels. Il y a deux
chanteuses : Jessica Molaskey et Rebecca
Kilgore ; le premier morceau We Take On the Town
en trio vocal avec Bucky est assez réussi. Par contre,
je ne vois pas l’intérêt du duo à l’unisson
de I Knew Him When. Ces deux canaris chantent chacune
un morceau en vedette et là…ça ne tourne pas à
l’avantage de Jessica qui n’est vraiment
pas au niveau face à Rebecca. Dans l’ensemble, si
ça fonctionne plutôt bien dans les tempos rapides et
moyens, ça mollit dans les lents et l’ennui
s’installe insidieusement. Bref, pour les fans de
Harry et de Bucky, voire de Aaron, c’est tout de
même un CD à écouter.
Marc Richard
(Jazz Classique
n°57)
Les Rois du Fox Trot

Vente en ligne sur
www.jazzbymail.com
Je suis un fan inconditionnel de Jean-Pierre Morel,
alias Sharkey, Sharquet ou bien encore Charquet (!),
depuis le jour où j’ai entendu un formidable
Harlem Bound retransmis à la radio dans les années 70.
Je me souviens très précisément de ma réaction :
« Putain que c’est bien le Jazz français
! » (j’aime bien les gros mots !)
J’ai une affection particulière pour “Les
Rois Du Fox Trot“ et tous ses musiciens, ayant en
plus collaboré sporadiquement à cet orchestre. Autant
dire que cette chronique risque de ne pas être très
objective ! Mais tant pis, ce n’est pas grave.
D’ailleurs, est-ce qu’une chronique doit
être objective ?
Jean-Pierre Morel est un personnage incontournable,
inénarrable, et unique dans le paysage du Jazz
classique français. Dans les années 70, Sharkey a été
un des pionniers (pour moi le meilleur) de ce que
l’on peut appeler le revival “vieux
style“ (je n’aime pas trop cette
nomenclature, mais tout le monde comprend !), redonnant
une nouvelle vie, un nouveau souffle au répertoire du
Jazz des années 20 : Fletcher Henderson, Clarence
Williams, etc. Car J.P. Morel ne s’est jamais
contenté de rejouer ce répertoire tel qu’il avait
été enregistré à l’époque (ce qui est
d’ailleurs impossible !), mais y a toujours mis
sa “patte“ (ou sa pâte ?) en réarrangeant
tous ces morceaux et en y imprimant sa personnalité,
rendant ainsi cette musique de nouveau actuelle 50 ans
après. Il a, en outre, toujours su fédérer les
meilleurs musiciens du moment à ses projets. En plus de
ça, je lui trouve un point commun avec Duke Ellington
(il va me prendre pour un fou, pas Ellington, Morel !
Tant pis... ) dans le sens où il sait mettre en valeur
les musiciens qui jouent avec lui : Harry Carney
n’a jamais mieux joué qu’avec Ellington, et
les quelques tentatives qu’il a pu faire en
dehors de chez Duke ne se sont pas avérées bien
terribles. De même, je trouve, par exemple, qu’un
musicien comme Alain Marquet n’a jamais mieux
joué, n’a jamais été aussi bien mis en valeur
qu’avec Morel.
Bon, venons-en à ce dernier CD des “Rois Du Fox
Trot“. Eh bien, on y retrouve tous les
ingrédients que je viens d’évoquer : le son
“Morel“, des musiciens parmi les meilleurs
représentants du style en France, un répertoire des
plus intéressants, en particulier un très beau
Imagination de Fud Livingston (j’aime beaucoup ce
morceau) et un formidable Night In Tunisia arrangé très
intelligemment en “vieux style“.
Il faut noter que l’enregistrement a été effectué
avec un minidisc et un micro stéréo en live au Petit
Journal St Michel et que le résultat est bien meilleur
que certains enregistrements en studio. Je retrouve
ici, par exemple, la magnifique sonorité de mon ami
Gégène, que je n’ai absolument pas retrouvée sur
le dernier enregistrement du Mississippi Jazz Band !
Chaque musicien est bien sûr particuliè-rement mis en
valeur dans cet orchestre et ce CD. Il serait peut-être
fastidieux de les citer tous, mais je voudrais quand
même mentionner Nicolas Montier, qui déboule
formidablement à l’alto et qui prend un très bon
solo de clarinette, fortement inspiré d’Alain
Marquet, me semble-t-il, sur I Know Gabriel Hates That
Music, Patrick Bacqueville, que je trouve
particulièrement bon dans ce style de musique et dans
cette formation, et puis tous les autres : Thévin,
Bescont, Fournet, Laurence Bridard, qui fait un très
bon boulot de percussionniste... Tout le monde quoi,
sans parler du leader dont j’apprécie grandement
le jeu de cornet.
C’est assez extraordinaire que tous ces musiciens
se retrouvent chaque mois au Petit Journal St Michel
pour un cachet sans doute dérisoire, ce qui prouve bien
que c’est le projet musical, la personnalité du
chef et l’amitié qui rassemblent tous ces gens.
Pour conclure, je voudrais dire à Jean-Pierre Morel :
Non ! tu n’es pas qu’un musicien de Fox
Trot, tu es un vrai musicien de Jazz... et un bon !
Bon, je mets trois cerises à ce CD. Na !!
Jean-François Bonnel
(Jazz Classique
n°54)
Les Red Hot Reedwarmers

Vente en ligne sur
www.jazzbymail.com
J’aime :
- Le son d’orchestre : dès les premières mesures,
on est dedans ; ce son est bien sûr inspiré par
l’orchestre de référence, mais j’y trouve
aussi des reminiscences de formations françaises telles
que l’Orphéon Célesta du temps de Huck et Alfred,
ou bien certains Sharkey.
- Le son individuel et le travail de chaque rythmicien
qui contribue bien évidemment à ce son
d’orchestre.
- Le son et le travail des deux solistes : Stéphane et
Aurélie font un super boulot aux différents saxes et
clarinettes. Aurélie a un très beau timbre de
clarinette et a fait des progrès en détaché, facteur
indispensable pour jouer Noone ! Mais ça jouerait pas
un peu bas dans le Sud, ou bien ? (ça c’est une
private joke !)
- Le répertoire : bien sûr basé sur celui de
l’orchestre de Noone, mais agrémenté de quelques
Clarence Williams et d’un Fats qui, traités à la
Noone, sont un vrai régal.
- Les arrangements originaux, mais... voir chapitre
suivant.
J’aime moins :
- La surcharge d’arrangements. Les arrangements,
c’est super pour éviter les alignements de solos,
pour éviter de lasser l’auditoire... Mais
j’avoue que, au bout de cinq ou six morceaux,
j’aimerais bien que ça respire un peu plus de
temps en temps et que les solistes aient plus le temps
de s’exprimer sur la longueur.
- L’intro de piano sur San : Merde (encore un
gros mot ! pardon !!!) Martin, tu sais jouer stride
quoi ! ( j’allais ajouter “bordel“
mais là j’ai peur d’abuser !) ; je
t’ai même entendu une fois tenir la dragée haute
à Louis Mazetier ! Mais là ça sonne ragtime et ça fait
“culcul“. Puis, tant qu’à faire du
Noone, penche-toi un peu plus sur le jeu d’Earl
Hines, les décalages rythmiques, le
“trumpet-piano style“, les trémolos... tout
ça quoi ! Je trouve que dans tous les pianistes actuels
il n’y a pas beaucoup (pas du tout ?) de
disciples d’Earl Hines. Pourquoi ? J’ai
revu dernièrement la Vidéo du “Jazz Casual“
qui lui est consacrée, c’est un vrai régal !
Je n’aime pas :
- Les imprécisions et les “erreurs“
harmoniques ! Ça gâche tout ! C’est comme un
furoncle sur le visage de la plus belle fille du monde
!! Par exemple, sur le thème de San, le deuxième accord
du A c’est un E7, et jouer un fa (en ut) dessus
ça colle pas trop dans le contexte. Oui, je sais, je
pinaille, mais l’harmonie c’est important.
De même, j’ai écouté l’original de
He’s A Different Type Of Guy : le pont
c’est pas ça non plus, c’est beaucoup plus
subtil qu’un anatole espagnol (pour les quatre
premières mesures) et du coup la mélodie sonne faux par
rapport aux harmonies. Sur Delta Bound aussi, le C° à
la place du B7 ça me choque. Je sais bien que sur
l’original Noone fait encore pire mais
c’est pas une raison ; il existe une version de
Kenny Davern où les harmonies sont très claires, et une
du Petit Jazz Band de Morel également, mais Marquet
joue lui aussi un C° !!
Bon, malgré ces pinaillages, les Red Hot Reedwarmers
font du très bon boulot. Ecoutez donc ce CD pour y
entendre les meilleurs disciples de l’Apex Club
Orchestra et la meilleure disciple de Jimmie Noone...
Jean-François Bonnel
(Jazz Classique
n°54)
Antti Sarpilla

Antti Sarpila (cl, ss,
ts), Rossano Sportiello (p), Nicki Parrott (b), Eddie
Metz Jr. (dms).
Je découvre Antti Sarpila avec bonheur ; il a une
personnalité et ça se fait rare aujourdhui. Le son de
ténor est gras et j’aime ça. Son jeu de
clarinette rappelle (positivement) Benny Goodman par le
phrasé (contrairement à certains émules… ). Je
suis moins fan du soprano mais ça s’écoute sans
déplaisir. La section rythmique est excellente, dommage
qu’elle soit mixée très en retrait du soliste.
Nicki Parrot phrase très logiquement ses chorus. Tout
cela est réjouissant et, pourtant, je suis embarrassé :
on devrait chroniquer ce CD sous le nom de Rossano
Sportiello ! Sa prestation éblouissante justifie à elle
seule l’achat de ce disque. J’ose dire
qu’il est ici au niveau de ses maîtres : Wilson,
Jones et compagnie. Il a gagné en assurance rythmique
et le toucher est encore plus beau qu’avant. Rien
que pour ça, je demande des cerises...
Marc Richard
(Jazz Classique
n°56)
Dorado Schmitt

Rarement un disque
aura mérité d’être appelé si justement
“album“ car le dernier CD de Dorado est bel
et bien un album de famille : le titre, la photo de
pochette, les dédicaces et, avant tout, les musiciens
montrent que les Établissements Schmitt, Père &
fils (& neveu & beau-frère), spécialisés dans
le swing au détail et la pompe pas mécanique, sont une
entreprise qui tourne bien. D’abord, le père.
Dorado, malgré sa discrétion, une figure importante de
la culture manouche, compositeur, guitariste,
violoniste - et à chaque fois d’une égale
originalité. Il délaisse ici son archet et offre
quelques-unes de ces mélodies qui sonnent avec
l’évidence d’un standard : pour preuve, le
Miro Django d’ouverture ou la Gozes Valse...
Quant au guitariste, à l’improvisateur, il marque
de son jeu personnel et raffiné le jazz manouche depuis
le début des années 80. Ce disque confirme la classe du
monsieur, sans toutefois offrir une de ces
interprétations qui brillent d’un génie
particulier et qu’on écoute en boucle pendant
deux mois.
Dorado n’a pas que du talent : il a aussi des
fils (et un neveu) (et un beau-frère). On a déjà dit
ici tout le bien qu’on pensait de Samson,
l’aîné, rencontré notamment sur “Les
Enfants de Django“ : son Samsong swingue sans
stress, flânant sur les grilles, le médiator
décontracté. Les deux autres garçons, Bronson sur
Nuages et Amati sur Minor Swing, puis le neveu Brady
Winterstein sur Topsy, semblent eux aussi avoir retenu
la leçon de Dorado, qui voudrait que la musique rime
d’abord avec feeling et qu’un chorus doit
être aussi mélodique que possible. L’école
familiale fut, de toute évidence, excellente mais
s’il y a un domaine où l’hérédité ne joue
guère, c’est bien le génie, et ces jeunes gens-là
ne doivent leurs qualités qu’à eux-mêmes. La
tradition se perpétue avec le talent confirmé de Samson
et la relève semble assurée par ces jeunes guitaristes
pleins de promesses.
Fidèle depuis des années à Dorado (quand il
n’accompagne pas Biréli), Hono Winterstein est
devenu au fil du temps LE guitariste rythmique qui
soutient, encourage, dope les chorus des solistes. Côté
family, il est le beau-frère. En passe de devenir aussi
inévitable que Hono dans les disques manouches, Gautier
Laurent tient la contrebasse, et Stéphane Huchard les
balais, si discrètement qu’ils se fondent avec
les guitares. Que demander de plus à une rythmique ?
Marcel Loeffler et son accordéon, sur six titres. Si le
musicien est brillant, on a un peu l’impression
qu’il joue parfois le rôle de
“l’invité sur un disque de jazz
manouche“, un rôle respectable en soi mais dont
la nécessité (qui a tendance à virer au systématique)
ne se fait pas toujours ressentir.
Deux raisons principales d’acheter ce CD de
Dorado Schmitt : retrouver un grand musicien dans un
bon disque, bien entouré, et découvrir ceux qui seront
peut-être demain les grands noms de cette musique.
Dominique Périchon
(Jazz Classique
n°58)
Selmer 607

Cinq jeunes
guitaristes dans le vent et une vénérable dame de 63
ans se partagent la vedette de ce disque. Les cinq
jeunes gens appartiennent à la grande famille de la
guitare manouche dernière génération. Adrien Moignard,
Rocky Gresset, Sébastien Giniaux, Richard Manetti et
Noé Reinhardt, dont le talent n’est plus à
confirmer, s’inscrivent dans une tradition
qu’ils transcendent, ne se référant plus à un
modèle unique (Django) et s’autorisant des
voyages musicaux que nul n’oserait leur
reprocher... La vieille dame, elle, a eu droit à un
lifting. Cette Selmer authentique et rare (le modèle
607 a été fabriqué en 1946), très proche de la 503 que
possédait Django Reinhardt, sonne, au dire des cinq
musiciens, d’une manière unique. Et il
n’est pas besoin d’être guitariste manouche
pour goûter la richesse du timbre, le dynamisme de
chaque note, la beauté des accords. Le son à lui seul
est une aventure. Chaque jeune guitariste a droit à
trois morceaux en leader, accompagné d’un membre
de cette phalange ou d’un invité (Benoît Convert,
Nicolas Blampain à la guitare ; Guillaume Singer au
violon), épaulé par une rythmique commune (Jérémie
Arranger à la contrebasse ; David Gastine et Ghali
Hadefi aux guitares rythmiques, ce dernier également
producteur du disque). Chacun joue un titre du
répertoire de Django et laisse ses goûts et, parfois,
son talent de compositeur, compléter son programme.
Rocky Gresset joue donc un Django et deux standards,
trois atmosphères différentes que réunit un phrasé
délicat toujours en quête de mélodie. Sébastien Giniaux
semble se dire qu’une pareille occasion ne se
reproduira pas de si tôt et profite bien de la Selmer,
des graves aux aigus, essaie tout ce qu’une
guitare manouche est capable de jouer. Adrien Moignard
demande à la Selmer des titres qu’elle n’a
sans doute pas souvent interprétés (What A Wonderful
World et Impressions de Coltrane) ainsi qu’un
Billet doux qu’il fait chanter comme personne.
Richard Manetti débute avec une superbe composition,
Natacha, se lance dans un tango tendu et maîtrisé, et
un Topsy plus classique qu’il sait toutefois
rendre personnel. Noé Reinhardt, enfin, est exemplaire
pour la souplesse de son coup de poignet, le son
chaleureux qu’il sort du précieux instrument dans
Vette, pour un ultime Instants volés qui ressemble à
une pure impro en compagnie de Rocky Gresset...
Voilà un vrai disque, avec un projet, une unité, un
soin particulier adressé à l’enregistrement et au
livret. Il y a même un site très intéressant
(www.selmer607.fr). C’est aussi - et surtout -
une manière subtile de découvrir ces jeunes musiciens.
Dominique Périchon
(Jazz Classique
n°54)
Jim Turner

La fascination et le
respect des maîtres qui ont laissé une œuvre très
aboutie pianistiquement comme Morton, les pianistes
stride ou Tatum, ont conduit de nombreux pianistes,
particulièrement depuis une vingtaine d’années, à
explorer très consciencieusement ce riche héritage.
S’aidant souvent de transcriptions du commerce
très fidèles (Dapogny pour Morton, Scivales pour le
stride, Distler et Edstrom pour Tatum) ou de leurs
propres relevés, nos courageux pianistes, armés
d’une belle technique instrumentale, offrent au
public la musique des grands aînés. Très bien,
formidable même.
Mais il y a malgré tout quelque chose qui me dérange un
peu là-dedans. Le jazz n’est pas et ne sera
jamais de la musique classique, au sens où on
l’entend aujourd’hui, c’est-à-dire
jouée par des virtuoses pour lesquels le respect de la
partition est la règle d’or. La spontanéité, la
prise de risque, l’ouverture vers
l’improvisation font, vous le savez, partie
intégrante d’une interprétation de jazz et font
des jazzmen des musiciens très différents des
interprètes classiques. Certes, le public a le droit et
la chance de découvrir ainsi les œuvres des
grands pianistes du passé. Certes, il est très agréable
pour l’interprète lui-même de faire revivre une
aussi belle musique. Mais pour que cela présente encore
plus d’intérêt, il est bienvenu que
l’interprète actuel ait une personnalité
suffisamment forte pour marquer ces œuvres de sa
propre empreinte et leur insuffler réellement une
nouvelle vie, ce qui n’est pas toujours le cas.
Alors, autant écouter ses bons vieux disques.
Jim Turner est un pianiste californien d’une
petite cinquantaine d’années, pourvu de solides
connaissances musicales et d’une sérieuse
technique de piano classique, qui fut un des protégés
de Johnny Guarnieri dans les années 70-80. Il est
actuellement le pianiste et arrangeur de
l’orchestre de Jim Cullum à San Antonio, Texas,
et a remplacé à ce poste John Sheridan. Il s’est
depuis toujours intéressé à la musique des premiers
pianistes de jazz et a signé un LP consacré à James P.
Johnson dans les années 90, et d’autres
enregistrements où apparaissent souvent des
compositions de Johnson et du stride de façon plus
générale. C’est donc un sérieux gaillard.
Le voici confronté à Morton et il s’en tire très
bien. Il est moins mortonien que Butch Thompson ou
Morten Gunnar Larsen et ne s’astreint pas à
rejouer les classiques soli note à note. Mais la verve
mélodique et l’atmosphère mortoniennes sont
toujours là, même si notre homme n’est pas un
monstre de swing. Il manque un peu de mordant de temps
en temps, la musique a tendance à devenir monotone et
tout semble très arrangé. Mais il y a aussi de très
bons moments comme le Tiger Rag inaugural (avec
rugissement du coude gauche inclus), un Wolverine Blues
remarquable, une précision, une qualité de toucher et
une virtuosité d’ensemble de haute volée. Et
surtout, il n’hésite pas à revoir à sa façon les
morceaux sélectionnés, sans être une pâle copie du
grand Jelly Roll. En prime, Topsy Chapman, invitée sur
le dernier morceau, vient apporter une touche fraîche
même si le piano est trop en avant (balance
imparfaite).
Du bon travail donc, compte tenu du côté casse-gueule
de l’entreprise, et, peut-être, pour certains,
l’occasion de découvrir un des meilleurs
pianistes de jazz traditionnel actuels. Pour mémoire,
au concours de pochettes de mauvais goût, celle de ce
CD peut sérieusement prétendre à une médaille.
Louis Mazetier
(Jazz Classique
n°58)
Johnny Varro Swing 7

Johnny Varro (p, lead,
arr.), Randy Sandke (tp) Dan Barrett (tb), Ken
Peplowski (cl, as), Scott Robinson (ts), Frank Tate
(b), Joe Ascione (dm).
Johnny Varro est un pianiste, arrangeur et chef
d’orchestre encore assez méconnu dans notre pays.
Il débute sa carrière aux côtés de Bobby Hackett en
1953, puis remplace Ralph Sutton au club d’Eddie
Condon en 1957. Il s’associe ensuite avec Condon
jusqu’à son départ pour la Floride au milieu des
années 60. Il joue beaucoup et avec de nombreux
musiciens et forme son septette au début des années 90.
Arbors rend hommage à cet important musicien en
publiant un dixième disque sous son nom (solo, duo avec
Ralph Sutton, quartette et désormais quatre disques à
la tête du Swing 7).
Parmi ses influences pianistiques, Johnny Varro
revendique en premier lieu celles de Jess Stacy et de
Teddy Wilson. On les retrouvera aisément dans son jeu,
marqué par une virtuosité apaisée, un beau toucher, une
souple aisance, un sens harmonique très sûr au service
d’idées qui vont droit au but. Un swing constant
et léger parachève le tout. Soliste prenant qui sait
varier les plaisirs - écoutez les mesures en
“stride“ de Ring Dem Bells (l’un des
chefs-d’œuvre offerts, qui ne donne pas
pour rien son nom au disque) ou de One, Two Button Your
Shoe ou encore un bref passage en “block
chords“ -, c’est aussi un fantastique
accompagnateur qui stimule les solistes et émerveille à
ce titre en bien des endroits
Mais ce qui frappe avant tout à l’écoute de ce
disque, comme d’ailleurs des précédents mais
peut-être plus encore dans ce dernier, est
l’efficacité de son écriture d’arrangeur,
son art de coloriste sachant exploiter toute la palette
offerte par l’instrumentation du septette
appréhendée comme un mini big band. Chaque arrangement
ravit l’oreille tout au long des interprétations,
dans l’exposé des thèmes comme dans
l’accompagnement des solistes. Certains
d’entre eux constituent de véritables
compositions, très fouillées et remarquables, qui
apportent un éclairage nouveau et singulier à des
thèmes pourtant fort connus (Come Sunday, par exemple).
Tout est pensé avec un goût exquis jusqu’à la
place des solistes dans chaque morceau et
l’incorporation de leur mise en évidence dans le
cadre des passages arrangés sans oublier le choix des
tempos. C’est aussi la signature d’un grand
chef d’orchestre ! Il faut apprécier comment il
donne à Joe Ascione toute sa place tout en évitant le
traditionnel solo de batterie, comment il encadre
chaque solo de contrebasse pour éviter
l’impression de monotonie… C’est un
orfèvre !
Dans le livret, Michael Steinman, son signataire,
rapporte le propos du chef d’orchestre : «
J’écris très simplement, tout au moins
c’est ce que je pense faire. Et ces types
connaissent mon style… » Oui, ils le connaissent
à la perfection et interprètent les passages les plus
complexes avec une apparente facilité déconcertante
même, d’ailleurs, lorsqu’ils ne jouent pas
la musique de leur chef d’orchestre mais une
œuvre de référence comme le
chef-d’œuvre arrangé, signé Charlie
Shavers, de Minute Waltz de Chopin dont
l’orchestre de John Kirby avait donné la version
que l’on pensait pourtant définitive.
La seule lecture du nom des musiciens éclaire
immédiatement l’amateur. L’audition le
confirmera pleinement dans la haute opinion qu’il
se fait d’eux. Ils sont tous remarquables ! Oui,
tous ! Il m’est arrivé d’exprimer, parfois,
une opinion mitigée après avoir écouté en concert tel
ou tel d’entre eux. Cette impression d’un
moment précis ne reflète pas obligatoirement,
qu’on se le dise, l’opinion générale que je
me fais d’un musicien. L’admiration que je
leur porte n’obère pas obligatoirement mon sens
critique. Ainsi pour Scott Robinson, on se souviendra
peut-être de mes réserves sur ses prestations dans le
compte rendu que j’avais fait du festival
d’Ascona 2007 voire pour certains de ses disques.
Dans celui-ci, il est éblouissant ! Certes, on ne
trouvera pas chez lui la sonorité large et charnue des
plus impressionnants “Texas tenors“, plutôt
celle d’un Quinichette, mais il sera donné de
découvrir - si ce n’est déjà fait ! - un grand
musicien et un sacré swingman ! Le phrasé est ici
souvent remarquable et dévastateur exprimant une
véritable science harmonique, une virtuosité sans
faille et une totale liberté rythmique.
Tout le monde joue ici à son meilleur niveau porté par
l’Art de Varro et par une rythmique toute en
souplesse, unie comme les trois doigts d’une
main. Chacun s’exprime dans un langage partagé,
avec une envie sensible, en totale liberté à
l’instar de Sandke qui se lâche dans ses quatre
chorus superbes sur Ring Dem Bells.
Il faudrait détailler le jeu de chacun d’entre
eux, analyser chaque interprétation mais cela nous
mènerait incontestablement bien au-delà d’une
simple chronique. Nous laisserons donc au lecteur le
bonheur de la découverte en l’engageant vivement
à partager notre bonheur à l’écoute de ce disque
estampillé “100% swing“ !
Dominique Burucoa
(Jazz Classique
n°55)
Thomas Winteler

VOL 1 / GEORGES
MARTIN. Steal Away - Ape
Man - Yearning And Blues - Drunk Man Strut - Wild Man
Blues - Little Bits - Indigo Stomp - Struggling - Blue
Piano Stomp - Oh ! Daddy - Saint Louis Blues - Salty
Dog - Clarinet Wobble - San - Blue Clarinet Stomp -
Brown Bottom Bess.
VOL 2 : THOMAS WINTELER. Oh ! Lizzie - 29th
and Dearborn - Ape Man - Blue Clarinet Stomp - Oriental
Man - Steal Away - Struggling - Oh ! Daddy - Clarinet
Wobble - Melancholy - Little Bits - New Saint Louis
Blues - San - Lonesome Blues - Your Folks - Chicago
Buzz - East Coast Trot.
VOL 3 : ALAIN MARQUET. Steppin’ On
The Gas - Beale Street Blues - Dixie Blues - Bohonkus
Blues - Down Hearted Blues - Memphis Blues - Papa De
Dada - Sweet Like This - Piggly Wiggly - Have Mercy -
Tom Cat Blues - Mister Jelly Lord - Wild Man Blues -
That Thing Called Love - Hyena
Stomp.
Vente par correspondance : Jean-Pierre Daubresse
– 6 Villa Cœur de Vey – 75014
Paris. Prix d’un CD : 18 euros (port
compris). Les trois : 45 euros (port compris).
Bon, il faut que je m’y mette à cette
chronique ! Ça fait deux mois que j’ai ces
enregistrements et que je n’arrive pas à écrire
quoi que ce soit ! Et, en plus, ça y est :
voilà le dernier numéro de notre revue bien-aimée, ma
dernière chronique… Et je ne sais toujours pas
par quel bout la prendre !
Bon, nous sommes ici en présence de trois CD
enregistrés par trois clarinettistes différents en
hommage à Monsieur Johnny Dodds, entreprise concoctée
par Jean-Pierre Daubresse et ses amis : Lou
Lauprète (p), Georges Martin, Thomas Winteler et Alain
Marquet (cl). C’est très bien et très louable de
rendre hommage et de vouloir promouvoir la musique de
Johnny Dodds, mais est-ce que ce triptyque fait avancer
le Schmilblique ?
Musicalement, ces trois CD tiennent la route, mis à
part quelques réticences personnelles comme, par
exemple, un Fm7 (pourquoi ?) au début du thème de
Wild Man Blues (version Georges Martin) et
quelques autres pains ici ou là, peut-être dus à un
certain manque de perfectionnisme… ou un manque
de temps pour refaire des prises ?
Le jeu le plus proche de Dodds est celui de Thomas. Le
plus personnel est bien sûr celui d’Alain. Quant
à Georges, s’il a moins de technique et
d’assurance que ses deux compères, on sent
qu’il a un très grand plaisir à jouer cette
musique et qu’il a eu un non moins grand plaisir
à l’enregistrer avec ses amis.
Le travail des accompagnateurs est tout autant valable.
Je mets de côté Enzo Mucci, Sylvain Glevarec et Gilles
Chevaucherie sur lesquels je n’ai rien à
redire ! Alain Marcheteau, à la guitare et au
banjo, contribue à la couleur d’authenticité de
la session « Martin », ainsi bien sûr que le
jeu de piano de Lou, quoique manquant, à mon goût, du
côté percussif des pianistes noirs des années 20. Je
suis toujours frappé quand je réécoute les
enregistrements originaux par l’attaque, le
“time“ incroyable de ces musiciens. Je me
répète mais c’était “Rock & Roll“
à l’époque, et même beaucoup plus
puisqu’ils n’avaient pas de sonorisation ou
d’amplification électrique, ce qui
aujourd’hui facilite bien les choses !
J’aimerais bien voir un groupe de Trash Metal un
jour de panne d’électricité !! Fin de la
digression !
Ceci étant posé, quelle est la finalité de ce genre
d’entreprise ? Je sais la passion de
Jean-Pierre Daubresse pour Dodds et le plaisir
qu’il a sûrement eu à produire ceci. Et, si
j’en crois le contenu des livrets, ces trois CD
auraient pour but de faire connaître ce grand
clarinettiste de la Nouvelle-Orléans : « Mais
qui était Johnny Dodds ? », but pédagogique
louable s’il en est ! Mais est-ce que les
gens qui ne connaissent pas Maître
Johnny vont acheter cette production ? Je me
pose la question avec quelques doutes. Est ce que, par
exemple, je vais encourager des élèves à écouter ceci
pour leur donner une idée de la musique de Dodds ?
Je ne crois pas, préférant de beaucoup leur faire
écouter le vrai, même si parfois certains
enregistrements originaux peuvent rebuter des oreilles
trop habituées aux MP3 !
Pour conclure, je dirais que nous sommes ici en
présence d’un témoignage sympathique de quelques
amis qui se sont réunis autour de leur passion commune
pour Johnny Dodds, ce qui, ma foi, est déjà très bien.
Mais, pour compléter ceci, j’aimerais bien une
réédition intégrale un peu prestigieuse des
enregistrements de ce grand clarinettiste !
Jean-François Bonnel
(Jazz Classique
n°58)