LE BLOG DE LA COMMISSION DU JAZZ CLASSIQUE DE L'ACADEMIE DU JAZZ

Membres de la commission : Jacques Aboucaya, Philippe Baudoin, Jacques Bisceglia, Claude Carrière, Guy Chauvier, Jean-Pierre Daubresse, Irakli, Dominique Périchon, Marc Richard.


PRIX DU JAZZ CLASSIQUE 2009 :


PARIS SWING ORCHESTRA

Swingin’ Sidney Bechet. Black & Blue BB 706.2.

Finalistes :

New York Trio. Always. Venus Records TKCV 35418.
Biréli Lagrène. Gipsy Trio. Dreyfus Jazz FDM 46050 369272.

Vous lirez ci-dessous des commentaires (les chroniques publiées dans Jazz Classique) sur les 21 CD en compétition cette année

Wendell Brunious - Sammy Rimington

Brunious
New Orleans Reunion. GHB BCD-460. Yearning - Squeeze Me - Little Girl - My Romance - Next To Your Mother Who Do You Love ? - Dallas Blues - Crazy About My Baby - Someday - Nellie Grey - My Sin - Fall Of Love - Don’t Give Up The Ship. Durée : 63’39.

Vente en ligne sur www.jazzology.com
Wendell Brunious est un musicien protéiforme et, cela ne va malheureusement pas toujours de pair, polyvalent. J’adore quand il souffle dans sa trompette – et dans son bugle – des ballades plus ou moins imprégnées du souvenir de Clifford Brown mais, enfant de la balle, Brunious connaît son jazz traditionnel sur le bout du doigt. C’est ce qu’il prouve tout au long de ce CD, jouant avec une sobriété, un timing, un goût impeccables. Et son inspiration est à la hauteur de sa maîtrise du style. Sammy Rimington est pareillement à l’honneur. Lui est toujours resté dans la mouvance du jazz traditionnel. Mais son jeu a évolué au fil des années. Fortement marqué à ses débuts par George Lewis, il a gagné en originalité. Le plus important est toutefois qu’il continue à s’exprimer avec la même flamme irrésistible. “New Orleans Reunion“ est à ranger parmi les perles de son abondante production discographique. Pour entourer les deux leaders, on a procédé à un casting irréprochable : Lucien Barbarin (tb), Butch Thompson (p), Lars Edegran (bj, g), Bill Huntington (b) et Ernest Elly (dms). Si vous êtes un aficionado, cette énumération suffit certainement à vous allécher. Vous ne serez pas déçu. Voilà un des meilleurs disques récents de jazz Nouvelle-Orléans traditionnel. Je me demande pourquoi on a attendu neuf ans pour le commercialiser.

Guy Chauvier
(Jazz Classique n°57)

Rocky Gresset

Gresset
Dreyfus Jazz FDM 46050 369422. The Way You Look Tonight - Blue Skies - My Foolish Heart - Jingles - Dream Of You - Looking Up - Just One Of Those Things - Ballade pour Rose - Polka Dots And Moonbeams - Darn That Dream - Webster - Time On My Hands - Pour toi. Durée : 50’06.

D’étonnants guitaristes, voltigeurs des cordes, le jazz manouche actuel en regorge. Des voix singulières, qui se font une place dans cette famille, la chose est plus rare... Rocky Gresset, la trentaine, appartient à cette dernière catégorie : une personnalité, un son tout en nuances, une certaine douceur dans le toucher et un sens subtil de la mélodie dans les improvisations. Pour son premier disque sous son nom (il était de l’aventure Selmer 607), il n’a pas joué la carte de l’hommage ou de l’exhibition. Rocky Gresset s’est contenté d’être lui-même (bonne idée !) et l’apparente hétérogénéité du répertoire (Reinhardt, Montgomery, Petrucciani, etc.) n’entraîne aucunement le guitariste dans un jeu à géométrie variable. A peine le style se fait-il plus suave, plus feutré, quand Rocky passe de l’acoustique à l’électrique... Quand il interprète un thème (prenez au hasard Time On My Hands), il n’aligne pas les plans que sa technique et sa culture lui permettraient sûrement de jouer sans effort : à ce bavardage d’instrumentiste triste, il préfère les atmosphères, les mélodies et la nuance... Ce n’est pas non plus la facilité qui a guidé le choix des titres, standards peu joués dans le jazz manouche ou compositions personnelles en forme de ballades. A ses côtés, des noms désormais bien connus assurent efficacement le drôle de travail, humble et indispensable, d’accompagnateurs dans un disque de jazz manouche : Diégo Imbert ou Jérémie Arranger à la contrebasse, Mathieu Chatelain à la guitare rythmique. Quant à la deuxième voix soliste, elle sort du violon de Costel Nitescu, qui n’apporte pas un véritable contraste avec la guitare de Rocky Gresset mais dialogue avec le même accent et travaille la délicatesse du bout d’un archet émule de Grappelli.
Un disque intime, pourrait-on dire, dans le vrai sens du terme : personnel et profond.

Dominique Périchon
(Jazz Classique n°58)

Marty Grosz

Grosz
The Classic Sessions. Arbors Records ARCD 19379. Pardon Me Pretty Baby - Rent Party Blues - Just One Of Those Things - I Must Have That Man - Maori - I Just Couldn´t Take It Baby - Wabash Blues - Under A Blanket Of Blue - My Blackbirds Are Bluebirds Now - Caught - Love And Kisses - Riverside Blues - The Panic Is On - When Buddha Smiles - I Gotta Get Up And Go To Work. Durée : 68’45.

Marty Grosz (g, bj, voc), Dan Block (cl, bcl, as), Scott Robinson (ss, c-mel s, bs, cnt, echo cnt, alto horn), Vince Giordano (b, tuba, bass s, voc), Rob Garcia (dms, glockenspiel), Panic Slim (tb).
Vente en ligne sur www.arborsrecords.com
Une fois n’est pas coutume, je vais commencer par faire l’apologie du texte de pochette. Marty Grosz l’a conçu, on n’est jamais si bien servi que par soi-même : une saynète-prologue à la Groucho Marx, une présentation des musiciens digne d’Alphonse Allais et un descriptif du choix du répertoire du même acabit. C’est jubilatoire de dérision lucide et en même temps fort instructif sur l’origine des morceaux. Musicalement, j’adore le style, le son de guitare de Marty, son intelligence dans l’accompagnement qui reflètent une grande culture du “jazz classique“. Je ne connaissais pas le batteur Rob Garcia et je découvre enfin un Américain qui respecte le style : un beau son de peaux animales, il roule bien et souplement, ses interventions de glockenspiel sont opportunes. Bref, l’on ne pourra que regretter qu’il soit trop en retrait au mixage. Vince Giordano est bien connu de nos services de renseignements comme dangereux militant de la préservation du vieux jazz. Sa prestation aux trois basses, notamment le saxo, participe bien à la réussite de ce CD singulier. Le numéro de jonglage des duettistes multivents Block/Robinson est réussi. Alors, je vais tout de même émettre un bémol : ces duettistes, certes, assurent techniquement, mais je trouve qu’ils manquent de gras, de folie swingante et de chaleur colorée. Néanmoins, ce disque frise les cerises, ne serait-ce que par son originalité bienvenue. Merci Marty !

Marc Richard
(Jazz Classique n°57)

Duke Heitger - Bernd Lhotzky

Heitger Lhotzky
Doin’ The Voom Voom. Arbors Records ARCD 19382. Fascination - Warm Valley - Doin’ The Voom Voom - How Long Has This Been Going On? - Jeepers Creepers - The Folks Who Live On The Hill - You’ve Got To Be Modernistic - Shades Of Jade - Liza - Blue Because Of You - Volver - Poor Loulie Jean - Manhattan - The Very Though of You - Embraceable You - Saturday Night Function - Salut d’amour. Durée : 63’07.

Enregistré les 12 et 13 juillet 2008 au Concert Hall d’Oberhaching en Allemagne.
Le cornettiste américain Duke Heitger, natif de l’Ohio, et le pianiste allemand Bernt Lhotzky se livrent à l’exercice ô combien difficile du duo !
Je connais bien Bernd, pour l’avoir é
couté plusieurs fois en concert, mais je découvre avec ce CD le jeu de Duke Heitger, cornettiste à la technique solide et qui possède une belle sonorité de cornet, un peu voilée, bien dans la ligne de l’instrument. Son phrasé est agréable, avec juste ce qu’il faut de virtuosité, sans aucun abus. Quelque part entre Warren Vaché et Ruby Braff, il y a pire comme références ! Le seul petit reproche que j’ai envie de lui faire, c’est d’être un peu sage, sans surprises rythmiques ou harmoniques, mais cela est sans doute dû aux conditions d’enregistrement en studio où les musiciens prennent souvent moins de risques, privilégiant la propreté au détriment de la spontanéité.
Finalement, c’est l’impression qui se dégage de cet album, une belle musique parfaitement maîtrisée par ces deux musiciens de grande classe, mais dans laquelle manque un peu l’étincelle qui nous accroche !
Le programme est original. À côté de classiques du stride revus pour piano et cornet tels que Fascination de James P. Johnson, de standards tels que Lisa, How Long Has This Been Going On ? ou Manhattan, de deux solos de piano : You’ve Got To Be Modernistic et Embraceable You, on trouve un air de Carlos Gardel : Volver et une composition de Sir Edward Elgar : Salut d’Amour !
La prise de son irréprochable restitue très fidèlement les sonorités de Bernd et de Duke. Une rencontre de ces deux-là en concert, fixée sur disque, est vivement souhaitée !

François Biensan
(Jazz Classique n°56)

Roger Kellaway

Kellaway
Live At The Jazz Standard. Ipo Recordings IPOC1014.

CD 1 : Cottontail - C Jam Blues - Someday My Prince Will Come - All My Life - I'm Beginning to See The Light - Take Five - The Nearness of You - Doxy.
CD 2 :
Tumbling Tumbleweeds - Cherry - You Don't Know What Love Is - Freddie Freeloader - 52nd Street Theme.
Vente en ligne sur www.iporecordings.com ou Amazon.com
Roger Kellaway (p), Russell Malone (g), Stefon Harris (vib), Jay Leonart (b), Borislav Strulev (violoncelle).
Ce double CD de Kellaway, enregistré en public en mai 2006, n’a pas eu l’honneur d’une chronique dans Jazz Classique. C’est pourtant, comme tous les enregistrements du pianiste, un disque intéressant qui avait évidemment sa place dans cette sélection. Globalement, l’esthétique de cette musique est très proche de celle de “Heroes“, CD qui avait obtenu le Prix du Jazz Classique de l’Académie en 2007. Les deux disques ont d’ailleurs été enregistrés à six mois d’interval. Ce “Live“ nous paraît toutefois légèrement inférieur à Heroes en raison de la place importante accordée au vibraphoniste, moins inspiré que Malone et, a foriori, Kellaway. Le violoncelliste n’intervient que dans All My Life, une composition de Kellaway. C’est le seul moment qui n’est pas du jazz.

Steeve Laffont

Laffont
Swing For Jess. Le Chant du Monde CDM 144. Swing for Jess - Mano - Old Man River - Meggie Style - Oh Samba Lec - Speevy - Hunn, O Pani Neschella - Billet doux - Libertango - Djazz - R-Vingt-Six - Ain’t Misbehavin’ - I’ll Remember April. Durée : 53’00.

Avec Steeve Laffont (“Latchès“ en 2008), le jazz manouche s’exprime dans ce qu’il a de plus énergique et de plus vivant. Son coup de poignet ferme et précis, la façon dont il accentue ses phrases ou encore la construction de ses chorus, tout concourt à faire de la musique de ce guitariste (né en 1975) un beau moment de joie ou de mélancolie selon les thèmes. Et la musique qu’il compose ou improvise semble alors tomber sous le sens, comme évidente. Mais on sait que rien n’est évident en matière de guitare manouche et que tout ce qui paraît simple nécessite beaucoup de talent (et de travail). Quelle que soit l’atmosphère, Steeve Laffont fait joliment sonner ses six cordes et, si le tempo s’accélère (Old Man River par exemple), ce musicien n’y voit pas l’occasion de montrer qu’il joue plus vite que son ombre mais fait “monter la sauce“, joue des roulements qui ne roulent pas des mécaniques et fait swinguer l’enthousiasme, non sans humour d’ailleurs... Comme le jazz manouche est toujours une histoire de famille, Steeve Laffont, dont la famille est originaire du Piémont, s’est entouré de ses cousins : Rudy Rabuffetti, guitariste et luthier, et le bien connu Serge Oustiakine à la contrebasse. Un entourage familier qui fonctionne bien. L’invité de rigueur est le violoniste Costel Nitescu, sur la majorité des titres, dont l’invention mélodique cousine elle aussi avec le style du guitariste.
Au jeu des rapprochements, c’est sans doute à la branche Moreno,Tchavolo, Tchan Tchou que l’on pensera le plus en écoutant Steeve Laffont, cette façon de s’inscrire dans une tradition, de jouer sans se poser d’autres questions que celle de la musique qui se joue, là, à l’instant présent.

Dominique Périchon
(Jazz Classique n°58)

Bireli Lagrène

Lagrène
Gipsy Trio. Dreyfus Jazz FDM 46050 369272. Lullaby Of Birdland - New York City - Le Soir - Limehouse Blues - Poinciana - Schön Rosemarin / Night And Day - Sir F.D. - Something - Made In France - Singin’ In The Rain - Tiger Rag - Change Partners - Micro - Be My Love. Durée : 46’56.

Plage 11 : Tiger Rag. N’importe quelle anthologie de guitare digne de ce nom (tous styles confondus) devra désormais inclure cette interprétation : la virtuosité, le swing et l’imagination s’y retrouvent, ficelés avec humour, pendant les 2 minutes 47 les plus réjouissantes qui soient. Biréli s’amuse, nous surprend à chaque coin de chorus, balance des breaks inattendus et jamais identiques et conclut avec naturel par quelques mesures de valse. Il y a alors quelque chose de la fantaisie et de la verve d’un Bernard Addison chez Biréli.
Revoici donc Biréli Lagrène. Celui dont le nom, pour un large public, symbolise à lui seul le jazz manouche, celui qui cristallise toutes les représentations qu’on peut se faire de cette musique. Celui dont on a dit, une fois pour toutes, qu’il était le meilleur. Podium tellement pratique pour les médias (et pour certains amateurs : c’est rassurant, les classements). Il faut dire que le jeune homme a mis la barre tellement haut, et depuis si longtemps, qu’on n’attend plus de lui une musique «simplement» brillante mais on compte bien qu’il nous emmène sur des chemins qui ne ressembleront à aucun autre. Son Lullaby Of Birdland est teinté de blues, son Limehouse Blues fait dialoguer la guitare avec la contrebasse de Diégo Imbert, le choix de thèmes peu joués ravive le répertoire manouche et donne l’occasion de s’aventurer sur des harmonies nouvelles mais pas hostiles au style de Biréli, notamment le beau Something de George Harrison. La formule du trio (Hono Winterstein est, bien entendu – et on l’entend bien – à la guitare rythmique) laisse reposer tout le travail du soliste sur les épaules de Biréli ; en contrepartie, il offre un grande liberté et une large place à la créativité. Biréli Lagrène use donc de l’une et de l’autre avec le talent que l’on sait, avec cette envie d’aller voir ailleurs qui le caractérise, sans jamais rompre avec la tradition. Enthousiasmant.
Ce serait presque parfait... Car le CD contient une innovation : le “malus track“. La dernière plage du disque peut surprendre : Be My Love, rengaine sentimentale arrosée à la guimauve en son temps par Mario Lanza (dont Jerry Lewis tira un sketch, c’était trop tentant) est ici chantée par... Roberto Alagna ! Oui, le fameux ténor d’opéra... Si vous aimez les grandes voix lyriques à la Luis Mariano, si vous aimez le bel canto sonore, si vous aimez les rencontres insolites entre les machines à coudre et les parapluies, alors seulement vous serez conquis par cette... expérience.

Dominique Périchon
(Jazz Classique n°58)

The Eddie Metz Jr Trio

Metz
Bridging The Gap. Arbors Records ARCD 19374. Falling In Love With Love - Huggin´ Higgins - Overjoyed - I´m Old Fashioned - Count Your Blessings (Instead of Sheep) - Bodhisattva - NER Blues - One Less Bell to Answer - The More I See You - Crazy Life - Little Girl - More Than You Know - Gotta Get A Hold Of Myself. Durée : 64’13.

Vente en ligne sur www.arborsrecords.com
Le titre de l’album est particulièrement bien
choisi, et reflète en tout point la personnalité des deux principaux protagonistes, E. Metz lui-même et Rossano Sportiello, le fantastique pianiste du trio. Le premier mot qui vient à l’esprit, à l’écoute de cette galette, est perfection, suivi de feeling et swing, et la présence à leurs côtés de la bassiste Nicki Parrott, d’origine australienne, selon mes sources, ne perturbe en rien cet ordre des choses. Elle achève de séduire l’auditeur par un vocal d’une très chaude sensualité dans une composition de Burt Bacharach : One Les Bell To Answer, et quelques chorus de basse bien plus qu’honorables. L’utilisation de ce répertoire vous laissera judicieusement penser que ces musiciens sont dépourvus de tout sectarisme. A côté de standards confirmés, on trouvera des compositions de Stevie Wonder, Steely Dan ou Gino Vannelli, pour une sorte de cousinage avec Pink Turtle. Mais, comme j’ai pu le constater, saxophone en main, à Bréda, il y a quelques années, ces garçons sont pétris d’histoire du jazz autant que de technique, et savent propulser un soliste bien au-delà de ses performances habituelles, grâce à leur fabuleuse science du swing. Les deux heureux élus (cobayes, invités, partenaires etc.) pour l’occasion, eux-mêmes extrêmement méritants, sont le sax ténor Harry Allen et le tromboniste John Allred. Allen évoque Ben Webster, Stan Getz, Paul Gonsalves, voire le phrasé de Gerry Mulligan ; Allred, le bien nommé, virtuose à la mise en place impeccable, bluesy en diable, évoque seulement le top niveau en matière de trombone mainstream, et l’on peut aisément deviner que son talent ne doit pas s’arrêter là. L’ensemble du CD reste fidèle à l’esprit d’un concert en club, permettant au leader de nous faire déguster son incroyable sens de l’accompagnement, notamment aux balais, qui fait rêver n’importe quel soliste. Quant à Rossano, son toucher, sa pertinence, son feeling, sa discrétion, sa mise en place, bref, tout m’enchante chez lui au plus haut point : vite, un kilo de cerises pour ces magiciens !

Daniel Huck
(Jazz Classique n°55)

Laurent Mignard Duke Orchestra

Mignard
Duke Ellington Is Alive. Juste une Trace. Ko-Ko – Harlem Airshaft - Black And Tan Fantasy - Kinda Dukish / Rockin’ Rhythm - Sophisticated Lady - Madness In Great Ones - Half the Fun - Diminuendo And Crescendo In Blue - Isfahan - The Eigth Veil - It Don’t Mean A Thing - Ad Lib On Nippon - Take The “A” Train. Durée : 72’.

Vente en ligne sur juste-une-trace.com
La musique d’Ellington est immortelle. Privilège de l’âge, contemporains du Duke, il nous a été donné d’entendre l’orchestre en direct et d’être littéralement soufflés et émus par la puissance de chacun de ses musiciens, les couleurs chatoyantes et multiples des ensembles, le swing qui se dégageait de cette formidable machine dans toute sa superbe et sa magnificence… Les disques, certains fort bien enregistrés, rapportent fidèlement toutes ces qualités irremplaçables des “spacemen“ mais, on ne le répétera jamais assez, rien ne saurait remplacer l’écoute en direct. La musique s’écoute, certes, mais elle se regarde aussi, se vit pleinement dans l’échange entre musiciens et publics. Le Duke Ellington Orchestra faisait aussi spectacle. Et quel spectacle ! À l’exigence à la fois charmeuse et implacable du chef répondait la grandeur des solistes créant avec un naturel déconcertant, parfois même avec des attitudes à la limite de la désinvolture, la plus belle des musiques… La musique d’Ellington était-elle donc condamnée à ne survivre à ses créateurs que par le disque ?
Le Duke Orchestra de Laurent Mignard nous incite à penser qu’il n’en est rien. Ce n’est pas là le moindre de ses mérites. À l’instar des grands compositeurs de l’histoire de la musique, celle d’Ellington / Strayhorn peut être interprétée. Il y faut du respect, de l’humilité, une grande culture, une haute technicité pour obtenir un résultat acceptable. Ce qui est vrai de Mozart, de Beethoven, de Ravel ou de Bartok l’est aussi d’Ellingron. Faire vivre l’œuvre de l’un des plus grands compositeurs du siècle passé est assurément un devoir. C’est la mission que Laurent Mignard a proposée à une belle phalange de jazzmen, tous admirateurs incontestés et, certains d’entre eux, reconnus de longue date comme spécialistes de l’œuvre. Le résultat, obtenu après un travail de recherche sérieux et une grande exigence artistique, est à la mesure du pari. Ce disque, enregistré en direct au cours de deux concerts, en est le témoin.
Après une première écoute, je n’ai pu m’empêcher de comparer avec l’original, allant même jusqu’à pousser le vice dans l’alternance de l’audition de l’une des versions d’origine avec celle de l’orchestre français. Vaine et désolante tentation d’incorrigible amateur ! Une écoute plus distanciée, raisonnée, je l’avoue, finalement plus libre, m’a enfin permis d’en goûter toute la substance. C’est alors seulement que sont apparues toutes les vertus de cette formation susceptible de perpétuer dignement l’œuvre du Maître. C’est alors encore que, faisant fi de toute comparaison, j’ai goûté à la spontanéité des solistes qui, dans la révérence, savent apporter leurs voix originales (Philippe Milanta, Bruno Rousselet, Nicolas Montier, Aurélie Tropez…), ceux qui, transpirant la passion, savent admirablement restituer l’accent des aînés (Biensan, Desbois, Chagne, Richard Blanchet…). Signalons aussi la présence de Patrick Bacqueville dans le rôle de Ray Nance, en qualité de chanteur sur deux titres, avec une belle démonstration de “scat“. Mais on aimerait qu’ils puissent aller plus loin, soit restituer le plus fidèlement l’original et le prolonger avec une plus grande liberté encore afin que la musique soit reconnue non seulement comme définitivement immortelle mais demeure pleinement vivante pour le plus grand bonheur des plus anciens comme de ceux qui n’ont pas eu la possibilité de vivre un concert Ellington ! En ce sens, le formidable travail de restitution de Laurent Mignard et de son orchestre mérite toute notre attention et notre soutien. L’achat de cet enregistrement contribuera à les manifester…
Pour terminer, une remarque cependant sur certains choix de mixage qui ne nous ont pas toujours semblé les plus opportuns : comme la présence peu naturelle (un peu trop soutenue) de certaines voix dans les ensembles et le cruel manque de présence de la batterie à de nombreux moments (dans les passages en trio notamment, la faiblesse des cymbales dans les ensembles). Enfin, si le choix de l’enregistrement en direct est parfaitement compréhensible, on regrettera l’absence des bruits et réactions de la salle attestant du direct, une forme d’aseptisation qui, plus ennuyeux, va même jusqu’à la perception très relative du chœur des musiciens en réponse aux phrases lancées par le pianiste dans Kinda Dukish par exemple. Des éléments qui auraient apporté de la vie et auraient donné toute sa justification au choix du direct.

Dominique Burucoa
(Jazz Classique n°57)

New York Trio

New York Trio
Always. Venus Records TKCV 35418. Always - Cheek To Cheek - They Say It's Wonderful - I Got The Sun In The Morning - How Deep Is The Ocean - Change Partners - What'll I Do - Isn't This A Lovely Day ? - Song Is Ended - Russian Lullaby.

Vente en ligne sur Amazon.fr, Jazz Messengers...
Bill Charlap (p), Jay Leonhart (b), Bill Stewart (dms).
Ce dernier CD du New York Trio (le septième), entièrement consacré aux compositions d’Irving Berlin, n’a pas été chroniqué dans Jazz Classique. Il est d’une qualité égale aux précédents. Nous avions consacré deux pages à Bill Charlap et à cette formation qui n’existe que pour le label japonais Venus dans notre numéro 48 (novembre 2007). Vous trouverez cette étude dans la rubrique “Archives“.


Thierry Ollé

Ollé001
Miss No. OT 0801 (distribution Jazzophile/Jazztrade). Careless Love - Premier bal - When I Grow Too Old To Dream - Do You Know What It Means To Miss New Orleans - Someday You’ll Be Sorry - Saint James Infirmary - Sweet Georgia Brown - What A Wonderful World - Fidgety Feet - Doctor Jazz - Avalon - Black and Blue - Wrap Your Troubles In Dreams - After You’ve Gone - Alexanders Ragtime Band. Durée : 73’01.

Thierry Ollé (p), Serge Oustiakine (b, voc), Guillaume Nouaux (dm).
Distribué par Jazztrade. Vente en ligne sur Fnac, Alapage ou CDmail.
Né en 1970 à Toulouse, Thierry Ollé est surtout connu des amateurs de jazz pour sa participation en tant que pianiste au Tuxedo Big Band et aux petites formations de Paul Chéron. Excellent accompagnateur, il a joué aux côtés de très nombreux musiciens, notamment des Américains de passage en France, et au sein de différentes formations du Sud mais a aussi travaillé dans le domaine de la chanson, notamment avec Yvan Cujious pour lequel il a composé et arrangé. Pour le peu que je le connaisse, Thierry Ollé m’est toujours apparu comme un homme attentif, discret et aimable… Il faut toujours se méfier de l’eau qui dort ou, plus exactement, de celle qui fait semblant ! Certains de ses solos, appréciés ici ou là, dénotaient un sacré tempérament…
À une époque où la technique et quelques espèces sonnantes et trébuchantes permettent à tout un chacun de se donner une actualité artistique, ce musicien recherché et reconnu, qui fait vivre depuis de nombreuses années le jazz de haut niveau dans le Midi, a attendu longtemps, avec patience et sagesse, le mûrissement de l’enregistrement du premier disque de jazz sous son nom.
À la réception du sobre digipack, à l’esthétique soignée, orné d’une photo de couverture amusante, la lecture des accompagnateurs est rassurante : deux musiciens eux-aussi reconnus et solides. Celle des titres l’est aussi, un peu décevante peut-être même : de bons vieux standards. Mais, dès les premières mesures de Careless Love, l’oreille se dresse, excitée !
D’abord, le son du piano est beau. Il met bien en évidence la qualité du toucher et la dynamique du jeu. Au mixage, un choix a été fait : le piano est au premier plan. De notre point de vue, un peu au détriment de la contrebasse et de la batterie qui auraient pu être remontées légèrement à certains moments afin de donner plus de confort à l’auditeur.
En soi, prendre les classiques de la Nouvelle-Orléans, devenus des standards, pour se les réapproprier en essayant de les traiter différemment, n’a rien de révolutionnaire. Beaucoup l’ont fait et le feront encore avec plus ou moins de bonheur. La gageure est de parvenir à donner un sens à cette tentative de fabrication du neuf à partir de l’ancien. Thierry Ollé a pensé son affaire et l’on comprend pourquoi il s’en est donné le temps.
Son jeu est nourri de nombreuses influences digérées que sa technique exprime avec facilité : Hank Jones, Sir Roland Hanna, Barry Harris, Thelonious Monk, Ahmad Jamal mais aussi Erroll Garner, Gene Harris ou Monty Alexander pour le côté le plus flamboyant... Au fil des interprétations, sa culture les exprime avec une rare maîtrise. Sans tentation de copie, elles émergent avec naturel dans le flot du discours musical.
Comme tout musicien de jazz qui se respecte, ces thèmes, nos trois compères les ont joués et rejoués des centaines de fois. Ils les connaissent en profondeur. Ils pourraient avoir le sentiment d’en avoir fait le tour mais ils savent que si ce matériau a traversé ainsi les époques, repris et illustré par les plus grands, c’est que, intrinsèquement, sa richesse est grande et qu’il convient d’adopter vis à vis de lui une attitude à la fois humble et passionnée sans exclure la créativité. Thierry Ollé apporte sa contribution par une subtile harmonisation, voire une véritable transfiguration des thèmes. De ce point de vue, l’interprétation de Saint James Infirmary ne constitue qu’une évocation de l’œuvre originale et, avec moins de modestie, le pianiste et le contrebassiste auraient pu signer la pièce sans que personne n’y trouve rien à redire !
Enfin, il ne suffit pas, pour convaincre, de prendre des thèmes, aussi beaux soient-ils, et de les jouer du mieux possible pour réussir un bon disque, captivant pendant plus d’une heure ! Il faut penser le traitement que l’on adoptera pour chacun d’entre eux, rechercher de la diversité tant du point de vue de la couleur que du rythme (vous en trouverez ici un florilège), donner à l’ensemble une cohérence, en un mot, un style. Les plus grands y parviennent avec la fausse apparence de la facilité, en faisant mine d’expédier une séance d’enregistrement en quelques heures. Le croire serait oublier le travail en solitaire et la fréquence des concerts qui, l’un et l’autre, forgent la pensée musicale, l’approche personnelle - et collective dans le cas de formations régulières - de chaque morceau.
Tout cela, et vraisemblablement beaucoup d’autres choses encore, Thierry Ollé l’a pensé avant d’entrer en studio les 8, 9 et 10 septembre derniers. Et cela s’entend.
À ses côtés, la présence des deux autres musiciens n’est en aucune manière le fruit du hasard. Comme lui, ils partagent, les oreilles grandes ouvertes, une même passion pour cette musique dont l’essence demeure le swing. Elle les réunit au-delà de l’amitié qui les lie. Cela s’entend aussi.
Serge Oustiakine donne une belle assise au trio avec une justesse et une pulse qui réjouissent. Ses courtes interventions en solo sont sobres et efficaces. J’apprécie moins ses talents de chanteur (Someday You’ll Be Sorry et What A Wonderful World) bien que ses interventions vocales donnent une diversité supplémentaire à l’ensemble.
Guillaume Nouaux, que l’on connaît comme l’un des meilleurs batteurs de style New Orleans de la planète, dévoile, à ceux qui le connaissent encore insuffisamment, ses multiples visages. Chacune de ses interventions en soliste réjouira par sa richesse et sa variété…
Je n’en dirai pas plus, préférant vous laisser le soin de découvrir par vous-même cette réussite. Courez chez votre disquaire préféré.

Dominique Burucoa
(Jazz Classique n°54)

Paris Swing Orchestra

Paris Swing Orchestra
Swingin’ Sidney Bechet. Black & Blue BB 706.2. Promenade aux Champs Elysées - Buddy Bolden Stomp - Chant Of The Night - Suey - Summertime - Dans les rues d’Antibes - Southern Sunset - Strange Fruit - Big Chief - Petite fleur - Viper Mad - En attendant le jour. Durée : 50’27.

Distribution Socadisc.
Voici un disque qui fait honneur au jazz français.
Bien que l’on ait déjà pu apprécier le dynamisme et les qualités du Paris Swing Orchestra, on ne peut qu’être agréablement surpris par la réalisation d’un tel album. En effet, dans le cadre des célébrations du cinquantenaire de la disparition de Sidney Bechet, il fallait un certain culot pour écrire des orchestrations de “tubes“ tels que Petite fleur et Dans les rues d’Antibes ! Un grand coup de chapeau, donc, à Marc Richard et Jean-Pierre Dumontier. Mais, disons-le d’emblée, cette entreprise prend toute sa valeur grâce au talent d’un magicien du saxophone, j’ai nommé Monsieur André Villéger.
Avant d’analyser plus en détail ces douze interprétations, j’aimerais mettre l’accent sur le choix judicieux des thèmes, alternant avec bonheur des compositions de la période “française“ de Sidney avec des morceaux de sa période “américaine“ enregistrés avant la deuxième guerre mondiale.
Promenade aux Champs Elysées. Dès les premières mesures, on est frappé par la couleur sonore du big band qui n’est pas sans évoquer la grande époque de Jimmie Lunceford (avec un réjouissant trio de trombones). Après une improvisation d’André Villéger pleine de musicalité en même temps que d’audace (Oh ! Les belles quintes diminuées…), la promenade se conclut avec élégance par un dialogue entre cuivres et anches du plus bel effet.
Buddy Bolden Stomp. Après avoir apprécié le chorus de trombone de Patrick Bacqueville (qui sait à coup sûr ce que le mot “swing“ veut dire), je ne peux m’empêcher d’imaginer Wellman Braud et Pops Foster au paradis des jazzmen (je suis sûr qu’il y en a un…) se régalant à l’écoute du slapping de Gilles Chevaucherie. Le morceau se termine par un solo d’André Villéger dont émane une flamme digne du maître.

Avec Chant Of The Night, on entre de plain-pied dans le vif du sujet. Il s’agit bien là d’une re-création du magnifique thème de Bechet dont Villéger a si bien assimilé le lyrisme et dans lequel il nous gratifie d’un solo qui met en relief “l’esprit“ de cette musique plutôt que d’en reprendre la “lettre“. Soulignons au passage les interventions de guitare enveloppées de moelleux backgrounds de cuivres, fort bien venues dans cette évocation des séances d’avant-guerre.
Suey est exposé par l’orchestre avec une légèreté et une fraîcheur réjouissantes. Le vocal et le chorus de ténor qui suit sont tout à fait dans le style des petites formations de l’époque. On notera à nouveau avec quel à-propos André Villéger invente des phrases dans le plus pur esprit de Bechet.
Cette remarque s’applique également à la composition de Gershwin, Summertime, qui, rappelons-le, était un cheval de bataille de Sidney. L’astucieuse orchestration de Marc Richard nous replonge dans l’atmosphère du fameux Nightmare d’Artie Shaw.
Pour avoir si souvent subi l’exécution des Rues d’Antibes par des orchestres soi-disant “New Orleans“ lors de parades ou d’animations dans les “festivals off“, on ne peut que se réjouir à l’écoute de l’arrangement de J.P. Dumontier que n’aurait pas désavoué un certain Fletcher Henderson. En prime, nous avons droit à un beau chorus de trompette de Michel Bonnet.
Bien que faisant référence à une formation relativement étoffée, l’exposé de Southern Sunset en grande formation me paraît moins convaincant. Peut-être est-ce dû à un tempo légèrement plus rapide que l’original. Quoi qu’il en soit, un chase inattendu entre le soprano et la clarinette ajoute un certain côté pittoresque à cette interprétation, mais on s’éloigne quelque peu ici de l’esthétique de Bechet.
Strange Fruit. Avec ce morceau qui fut popularisé par Billie Holiday et dont Sidney avait enregistré en trio une sublime version, nous entrons dans un univers particulièrement envoûtant. Après une introduction de piano pleine de poésie, Villéger empoigne le thème dans une envolée lyrique qui souligne à merveille le côté “tsigane“ de Bechet dans ce genre d’interprétation.
Big Chief donne lieu à un swingant exposé par l’orchestre sur un thème qui ne s’y prête pas particulièrement. Après de plaisants chorus de Michel Bonnet, Nicolas Montier et Patrick Bacqueville, il faut souligner à nouveau avec quel naturel Villéger improvise dans le style de Bechet.
Petite fleur. Merci au Paris Swing Orchestra d’avoir donné une nouvelle vie à ce thème ultra rabâché. Quelle musicalité dans l’intro au soprano et l’exposé du thème ! Après un superbe tutti de saxes dû à la plume de Marc Richard, Nicolas Montier se lance dans une fougueuse improvisation sur laquelle plane l’ombre du grand Coleman Hawkins. Reprise du thème pleine de sensibilité qui se termine par une fulgurante coda à la hauteur de l’introduction.
Bonne idée que d’avoir repris ce Viper Mad qui sent bon l’ambiance des petites formations de Noble Sissle. C’est assurément une des plages qui balance le plus. Bravo à Patrick Bacqueville et Michel Bonnet qui nous restituent si bien cette atmosphère.
En attendant le jour, une des plus belles mélodies composées par Sidney durant son séjour parisien, conclut avec bonheur, dans un climat très Glenn Miller, ce vibrant hommage rendu à Sidney Bechet.
Croyez-moi, chers lecteurs de Jazz Classique, il ne vous reste qu’une chose à faire : acheter le disque !

Gérard Badini
(Jazz Classique n°57)

Bucky et John Pizzarelli

pizzarelli
Pizzarelli Party With The Arbors All Stars. Arbors Records ARCD 19391. We Take On The Town - Stollin´ - Over To Nola (Gonna Play Some Blues) - Oh, Lady Be Good - Wrap Your Troubles In Dreams - Sweet And Lovely - Joe And Zoot - I´m Making Believe - You Be The Judge - Somebody Call Hanly - Under A Blanket Of Blue - Check Out This Out - I Knew Him When - I´ll See You In My Dreams. Durée : 64’24.

Bucky Pizzarelli (g), Harry Allen (ts), Larry Fuller (p), John Pizzarelli (g, voc), Aaron Weinstein (vl), Martin Pizzarelli (b), Tony Tedesco (dms), Jessica Molaskey (voc), Rebecca Kilgore (voc).
Vente en ligne sur www.arbors.com
Encore un disque de chez Arbors qui s’écoute avec plaisir mais qui est encore loin des cerises. Certes, Harry Allen est toujours au top, Bucky Pizzarelli joue toujours divinement de la guitare acoustique et je découvre avec bonheur qu’un jeune violoniste - Aaron Weinstein - suit les traces de Stuff Smith. La rythmique tourne bien. John Pizzarelli a de qui tenir mais, malheureusement, il n’est pas le seul bon guitariste de “mainstream“ actuellement et il lui manque un rien pour atteindre le niveau des meilleurs : l’inspiration ? La fougue rythmique ? L’originalité ? Que sais-je ? Trois vocalistes dont John Pizzarelli, avec ce style caractéristique des bons musiciens (américains) bons chanteurs occasionnels. Il y a deux chanteuses : Jessica Molaskey et Rebecca Kilgore ; le premier morceau We Take On the Town en trio vocal avec Bucky est assez réussi. Par contre, je ne vois pas l’intérêt du duo à l’unisson de I Knew Him When. Ces deux canaris chantent chacune un morceau en vedette et là…ça ne tourne pas à l’avantage de Jessica qui n’est vraiment pas au niveau face à Rebecca. Dans l’ensemble, si ça fonctionne plutôt bien dans les tempos rapides et moyens, ça mollit dans les lents et l’ennui s’installe insidieusement. Bref, pour les fans de Harry et de Bucky, voire de Aaron, c’est tout de même un CD à écouter.

Marc Richard
(Jazz Classique n°57)

Les Rois du Fox Trot

Fox Trot
Crazy ‘Bout Red-Head Mama. Stomp Off 1429. The Terror - Naughty Man - Shanghai Shuffle - Red River Blues - Lots O’ Mama - Harmony Blues - Charley, My Boy - A Night In Tunisia - Louisville Blues - Magnolia’s Wedding Day - Imagination - Rumba Negro (Spanish Stomp) - I Know Gabriel Hates That Music - When I’m With You - Slow And Steady - I Ain’t Got Nobody - Crazy ‘Bout Red-Head Mamas. Durée : 75’40.

Vente en ligne sur www.jazzbymail.com
Je suis un fan inconditionnel de Jean-Pierre Morel, alias Sharkey, Sharquet ou bien encore Charquet (!), depuis le jour où j’ai entendu un formidable Harlem Bound retransmis à la radio dans les années 70. Je me souviens très précisément de ma réaction : « Putain que c’est bien le Jazz français ! » (j’aime bien les gros mots !)
J’ai une affection particulière pour “Les Rois Du Fox Trot“ et tous ses musiciens, ayant en plus collaboré sporadiquement à cet orchestre. Autant dire que cette chronique risque de ne pas être très objective ! Mais tant pis, ce n’est pas grave. D’ailleurs, est-ce qu’une chronique doit être objective ?
Jean-Pierre Morel est un personnage incontournable, inénarrable, et unique dans le paysage du Jazz classique français. Dans les années 70, Sharkey a été un des pionniers (pour moi le meilleur) de ce que l’on peut appeler le revival “vieux style“ (je n’aime pas trop cette nomenclature, mais tout le monde comprend !), redonnant une nouvelle vie, un nouveau souffle au répertoire du Jazz des années 20 : Fletcher Henderson, Clarence Williams, etc. Car J.P. Morel ne s’est jamais contenté de rejouer ce répertoire tel qu’il avait été enregistré à l’époque (ce qui est d’ailleurs impossible !), mais y a toujours mis sa “patte“ (ou sa pâte ?) en réarrangeant tous ces morceaux et en y imprimant sa personnalité, rendant ainsi cette musique de nouveau actuelle 50 ans après. Il a, en outre, toujours su fédérer les meilleurs musiciens du moment à ses projets. En plus de ça, je lui trouve un point commun avec Duke Ellington (il va me prendre pour un fou, pas Ellington, Morel ! Tant pis... ) dans le sens où il sait mettre en valeur les musiciens qui jouent avec lui : Harry Carney n’a jamais mieux joué qu’avec Ellington, et les quelques tentatives qu’il a pu faire en dehors de chez Duke ne se sont pas avérées bien terribles. De même, je trouve, par exemple, qu’un musicien comme Alain Marquet n’a jamais mieux joué, n’a jamais été aussi bien mis en valeur qu’avec Morel.
Bon, venons-en à ce dernier CD des “Rois Du Fox Trot“. Eh bien, on y retrouve tous les ingrédients que je viens d’évoquer : le son “Morel“, des musiciens parmi les meilleurs représentants du style en France, un répertoire des plus intéressants, en particulier un très beau Imagination de Fud Livingston (j’aime beaucoup ce morceau) et un formidable Night In Tunisia arrangé très intelligemment en “vieux style“.
Il faut noter que l’enregistrement a été effectué avec un minidisc et un micro stéréo en live au Petit Journal St Michel et que le résultat est bien meilleur que certains enregistrements en studio. Je retrouve ici, par exemple, la magnifique sonorité de mon ami Gégène, que je n’ai absolument pas retrouvée sur le dernier enregistrement du Mississippi Jazz Band !
Chaque musicien est bien sûr particuliè-rement mis en valeur dans cet orchestre et ce CD. Il serait peut-être fastidieux de les citer tous, mais je voudrais quand même mentionner Nicolas Montier, qui déboule formidablement à l’alto et qui prend un très bon solo de clarinette, fortement inspiré d’Alain Marquet, me semble-t-il, sur I Know Gabriel Hates That Music, Patrick Bacqueville, que je trouve particulièrement bon dans ce style de musique et dans cette formation, et puis tous les autres : Thévin, Bescont, Fournet, Laurence Bridard, qui fait un très bon boulot de percussionniste... Tout le monde quoi, sans parler du leader dont j’apprécie grandement le jeu de cornet.
C’est assez extraordinaire que tous ces musiciens se retrouvent chaque mois au Petit Journal St Michel pour un cachet sans doute dérisoire, ce qui prouve bien que c’est le projet musical, la personnalité du chef et l’amitié qui rassemblent tous ces gens.
Pour conclure, je voudrais dire à Jean-Pierre Morel : Non ! tu n’es pas qu’un musicien de Fox Trot, tu es un vrai musicien de Jazz... et un bon !
Bon, je mets trois cerises à ce CD. Na !!

Jean-François Bonnel
(Jazz Classique n°54)

Les Red Hot Reedwarmers

Red Hot Reedwarmers
Apex Blues. Stomp Off Records 1425. Looking Good But Feeling Bad - River, Stay ‘way From My Door - My Melancholy Baby - San - He’s A Different Type Of Guy - Apex Blues - Oh! Sister, Ain’t that Hot ! - Delta Bound - A Monday Date - That Streamline Gal Of Mine - Wake Up! Chill’un, Wake Up ! - There’s Gonna Be The Devil To Pay - Love (Your Magic Spell Is Everywhere). Durée : 67’58.

Vente en ligne sur www.jazzbymail.com
J’aime :
- Le son d’orchestre : dès les premières mesures, on est dedans ; ce son est bien sûr inspiré par l’orchestre de référence, mais j’y trouve aussi des reminiscences de formations françaises telles que l’Orphéon Célesta du temps de Huck et Alfred, ou bien certains Sharkey.
- Le son individuel et le travail de chaque rythmicien qui contribue bien évidemment à ce son d’orchestre.
- Le son et le travail des deux solistes : Stéphane et Aurélie font un super boulot aux différents saxes et clarinettes. Aurélie a un très beau timbre de clarinette et a fait des progrès en détaché, facteur indispensable pour jouer Noone ! Mais ça jouerait pas un peu bas dans le Sud, ou bien ? (ça c’est une private joke !)
- Le répertoire : bien sûr basé sur celui de l’orchestre de Noone, mais agrémenté de quelques Clarence Williams et d’un Fats qui, traités à la Noone, sont un vrai régal.
- Les arrangements originaux, mais... voir chapitre suivant.
J’aime moins :
- La surcharge d’arrangements. Les arrangements, c’est super pour éviter les alignements de solos, pour éviter de lasser l’auditoire... Mais j’avoue que, au bout de cinq ou six morceaux, j’aimerais bien que ça respire un peu plus de temps en temps et que les solistes aient plus le temps de s’exprimer sur la longueur.
- L’intro de piano sur San : Merde (encore un gros mot ! pardon !!!) Martin, tu sais jouer stride quoi ! ( j’allais ajouter “bordel“ mais là j’ai peur d’abuser !) ; je t’ai même entendu une fois tenir la dragée haute à Louis Mazetier ! Mais là ça sonne ragtime et ça fait “culcul“. Puis, tant qu’à faire du Noone, penche-toi un peu plus sur le jeu d’Earl Hines, les décalages rythmiques, le “trumpet-piano style“, les trémolos... tout ça quoi ! Je trouve que dans tous les pianistes actuels il n’y a pas beaucoup (pas du tout ?) de disciples d’Earl Hines. Pourquoi ? J’ai revu dernièrement la Vidéo du “Jazz Casual“ qui lui est consacrée, c’est un vrai régal !
Je n’aime pas :
- Les imprécisions et les “erreurs“ harmoniques ! Ça gâche tout ! C’est comme un furoncle sur le visage de la plus belle fille du monde !! Par exemple, sur le thème de San, le deuxième accord du A c’est un E7, et jouer un fa (en ut) dessus ça colle pas trop dans le contexte. Oui, je sais, je pinaille, mais l’harmonie c’est important. De même, j’ai écouté l’original de He’s A Different Type Of Guy : le pont c’est pas ça non plus, c’est beaucoup plus subtil qu’un anatole espagnol (pour les quatre premières mesures) et du coup la mélodie sonne faux par rapport aux harmonies. Sur Delta Bound aussi, le C° à la place du B7 ça me choque. Je sais bien que sur l’original Noone fait encore pire mais c’est pas une raison ; il existe une version de Kenny Davern où les harmonies sont très claires, et une du Petit Jazz Band de Morel également, mais Marquet joue lui aussi un C° !!
Bon, malgré ces pinaillages, les Red Hot Reedwarmers font du très bon boulot. Ecoutez donc ce CD pour y entendre les meilleurs disciples de l’Apex Club Orchestra et la meilleure disciple de Jimmie Noone...

Jean-François Bonnel
(Jazz Classique n°54)

Antti Sarpilla

Sarpila
We’d Like New York In June. Arbors Records ARCD 19375. How About You? - From This Moment On - Everything Happens To Me - Moonlight on Germont - Lesterity - When It´s Sleepy Time Down South - Whispers in The Dark - Revolutionary Jump - Unforettable - ´Deed I Do - I´m Beginning To See the Light - Swing ala Chopin - Summer Night - Just One of Those Things - Cheek To Cheek - Love Walked In - Dearest. Durée : 70’56.

Antti Sarpila (cl, ss, ts), Rossano Sportiello (p), Nicki Parrott (b), Eddie Metz Jr. (dms).
Je découvre Antti Sarpila avec bonheur ; il a une personnalité et ça se fait rare aujourdhui. Le son de ténor est gras et j’aime ça. Son jeu de clarinette rappelle (positivement) Benny Goodman par le phrasé (contrairement à certains émules… ). Je suis moins fan du soprano mais ça s’écoute sans déplaisir. La section rythmique est excellente, dommage qu’elle soit mixée très en retrait du soliste. Nicki Parrot phrase très logiquement ses chorus. Tout cela est réjouissant et, pourtant, je suis embarrassé : on devrait chroniquer ce CD sous le nom de Rossano Sportiello ! Sa prestation éblouissante justifie à elle seule l’achat de ce disque. J’ose dire qu’il est ici au niveau de ses maîtres : Wilson, Jones et compagnie. Il a gagné en assurance rythmique et le toucher est encore plus beau qu’avant. Rien que pour ça, je demande des cerises...

Marc Richard
(Jazz Classique n°56)

Dorado Schmitt

Schmitt
Family. Dreyfus Jazz FDM 46050 369442. Miro Django - Bleu citron - My Blue Heaven - For Grappelli - Gozes Valse - Topsy - Un si beau jour - Fête de la musique - Samsong - Minor Swing - Nuages - David’s Swing - Just a Gigolo - Django’s Tiger - J’attendrai. Durée : 52’21.

Rarement un disque aura mérité d’être appelé si justement “album“ car le dernier CD de Dorado est bel et bien un album de famille : le titre, la photo de pochette, les dédicaces et, avant tout, les musiciens montrent que les Établissements Schmitt, Père & fils (& neveu & beau-frère), spécialisés dans le swing au détail et la pompe pas mécanique, sont une entreprise qui tourne bien. D’abord, le père. Dorado, malgré sa discrétion, une figure importante de la culture manouche, compositeur, guitariste, violoniste - et à chaque fois d’une égale originalité. Il délaisse ici son archet et offre quelques-unes de ces mélodies qui sonnent avec l’évidence d’un standard : pour preuve, le Miro Django d’ouverture ou la Gozes Valse... Quant au guitariste, à l’improvisateur, il marque de son jeu personnel et raffiné le jazz manouche depuis le début des années 80. Ce disque confirme la classe du monsieur, sans toutefois offrir une de ces interprétations qui brillent d’un génie particulier et qu’on écoute en boucle pendant deux mois.
Dorado n’a pas que du talent : il a aussi des fils (et un neveu) (et un beau-frère). On a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait de Samson, l’aîné, rencontré notamment sur “Les Enfants de Django“ : son Samsong swingue sans stress, flânant sur les grilles, le médiator décontracté. Les deux autres garçons, Bronson sur Nuages et Amati sur Minor Swing, puis le neveu Brady Winterstein sur Topsy, semblent eux aussi avoir retenu la leçon de Dorado, qui voudrait que la musique rime d’abord avec feeling et qu’un chorus doit être aussi mélodique que possible. L’école familiale fut, de toute évidence, excellente mais s’il y a un domaine où l’hérédité ne joue guère, c’est bien le génie, et ces jeunes gens-là ne doivent leurs qualités qu’à eux-mêmes. La tradition se perpétue avec le talent confirmé de Samson et la relève semble assurée par ces jeunes guitaristes pleins de promesses.
Fidèle depuis des années à Dorado (quand il n’accompagne pas Biréli), Hono Winterstein est devenu au fil du temps LE guitariste rythmique qui soutient, encourage, dope les chorus des solistes. Côté family, il est le beau-frère. En passe de devenir aussi inévitable que Hono dans les disques manouches, Gautier Laurent tient la contrebasse, et Stéphane Huchard les balais, si discrètement qu’ils se fondent avec les guitares. Que demander de plus à une rythmique ?
Marcel Loeffler et son accordéon, sur six titres. Si le musicien est brillant, on a un peu l’impression qu’il joue parfois le rôle de “l’invité sur un disque de jazz manouche“, un rôle respectable en soi mais dont la nécessité (qui a tendance à virer au systématique) ne se fait pas toujours ressentir.
Deux raisons principales d’acheter ce CD de Dorado Schmitt : retrouver un grand musicien dans un bon disque, bien entouré, et découvrir ceux qui seront peut-être demain les grands noms de cette musique.

Dominique Périchon
(Jazz Classique n°58)

Selmer 607

Selmer 607
Studio LDC 0801 / Cristal Records 0825. Swing 48 - Made In France - What A Wonderful World - Vette - Natacha - Impressions - Polkadots And Moonbeams - Nanatango - Viper’s Dream - Evan’s Hair - Billets doux - Stella By Starlight - Topsy - Rue du Languedoc - Insensiblement - Instants volés. Durée : 58’11. Distribution Abeille Musique. Vente en ligne sur abeillemusique.com, cristalrecords.com, Amazon, Fnac...

Cinq jeunes guitaristes dans le vent et une vénérable dame de 63 ans se partagent la vedette de ce disque. Les cinq jeunes gens appartiennent à la grande famille de la guitare manouche dernière génération. Adrien Moignard, Rocky Gresset, Sébastien Giniaux, Richard Manetti et Noé Reinhardt, dont le talent n’est plus à confirmer, s’inscrivent dans une tradition qu’ils transcendent, ne se référant plus à un modèle unique (Django) et s’autorisant des voyages musicaux que nul n’oserait leur reprocher... La vieille dame, elle, a eu droit à un lifting. Cette Selmer authentique et rare (le modèle 607 a été fabriqué en 1946), très proche de la 503 que possédait Django Reinhardt, sonne, au dire des cinq musiciens, d’une manière unique. Et il n’est pas besoin d’être guitariste manouche pour goûter la richesse du timbre, le dynamisme de chaque note, la beauté des accords. Le son à lui seul est une aventure. Chaque jeune guitariste a droit à trois morceaux en leader, accompagné d’un membre de cette phalange ou d’un invité (Benoît Convert, Nicolas Blampain à la guitare ; Guillaume Singer au violon), épaulé par une rythmique commune (Jérémie Arranger à la contrebasse ; David Gastine et Ghali Hadefi aux guitares rythmiques, ce dernier également producteur du disque). Chacun joue un titre du répertoire de Django et laisse ses goûts et, parfois, son talent de compositeur, compléter son programme. Rocky Gresset joue donc un Django et deux standards, trois atmosphères différentes que réunit un phrasé délicat toujours en quête de mélodie. Sébastien Giniaux semble se dire qu’une pareille occasion ne se reproduira pas de si tôt et profite bien de la Selmer, des graves aux aigus, essaie tout ce qu’une guitare manouche est capable de jouer. Adrien Moignard demande à la Selmer des titres qu’elle n’a sans doute pas souvent interprétés (What A Wonderful World et Impressions de Coltrane) ainsi qu’un Billet doux qu’il fait chanter comme personne. Richard Manetti débute avec une superbe composition, Natacha, se lance dans un tango tendu et maîtrisé, et un Topsy plus classique qu’il sait toutefois rendre personnel. Noé Reinhardt, enfin, est exemplaire pour la souplesse de son coup de poignet, le son chaleureux qu’il sort du précieux instrument dans Vette, pour un ultime Instants volés qui ressemble à une pure impro en compagnie de Rocky Gresset...
Voilà un vrai disque, avec un projet, une unité, un soin particulier adressé à l’enregistrement et au livret. Il y a même un site très intéressant (www.selmer607.fr). C’est aussi - et surtout - une manière subtile de découvrir ces jeunes musiciens.

Dominique Périchon
(Jazz Classique n°54)

Jim Turner

Turner 2
Jelly Roll Blues - A Tribute To Jelly Roll Morton. ARBORS ARCD 19392. Tiger Rag - Jelly Roll Blues - The Fingerbreaker - The Pearls - King Porter Stomp - Buddy Bolden´s Blues - The Crave - Grandpa´s Spells - Perfect Rag - Wolverine Blues - Winin´ Boy Blues - Frog-I-More Rag - Mister Joe - Shreveport Stomp - Mr. Jelly Lord.

La fascination et le respect des maîtres qui ont laissé une œuvre très aboutie pianistiquement comme Morton, les pianistes stride ou Tatum, ont conduit de nombreux pianistes, particulièrement depuis une vingtaine d’années, à explorer très consciencieusement ce riche héritage. S’aidant souvent de transcriptions du commerce très fidèles (Dapogny pour Morton, Scivales pour le stride, Distler et Edstrom pour Tatum) ou de leurs propres relevés, nos courageux pianistes, armés d’une belle technique instrumentale, offrent au public la musique des grands aînés. Très bien, formidable même.
Mais il y a malgré tout quelque chose qui me dérange un peu là-dedans. Le jazz n’est pas et ne sera jamais de la musique classique, au sens où on l’entend aujourd’hui, c’est-à-dire jouée par des virtuoses pour lesquels le respect de la partition est la règle d’or. La spontanéité, la prise de risque, l’ouverture vers l’improvisation font, vous le savez, partie intégrante d’une interprétation de jazz et font des jazzmen des musiciens très différents des interprètes classiques. Certes, le public a le droit et la chance de découvrir ainsi les œuvres des grands pianistes du passé. Certes, il est très agréable pour l’interprète lui-même de faire revivre une aussi belle musique. Mais pour que cela présente encore plus d’intérêt, il est bienvenu que l’interprète actuel ait une personnalité suffisamment forte pour marquer ces œuvres de sa propre empreinte et leur insuffler réellement une nouvelle vie, ce qui n’est pas toujours le cas. Alors, autant écouter ses bons vieux disques.
Jim Turner est un pianiste californien d’une petite cinquantaine d’années, pourvu de solides connaissances musicales et d’une sérieuse technique de piano classique, qui fut un des protégés de Johnny Guarnieri dans les années 70-80. Il est actuellement le pianiste et arrangeur de l’orchestre de Jim Cullum à San Antonio, Texas, et a remplacé à ce poste John Sheridan. Il s’est depuis toujours intéressé à la musique des premiers pianistes de jazz et a signé un LP consacré à James P. Johnson dans les années 90, et d’autres enregistrements où apparaissent souvent des compositions de Johnson et du stride de façon plus générale. C’est donc un sérieux gaillard.
Le voici confronté à Morton et il s’en tire très bien. Il est moins mortonien que Butch Thompson ou Morten Gunnar Larsen et ne s’astreint pas à rejouer les classiques soli note à note. Mais la verve mélodique et l’atmosphère mortoniennes sont toujours là, même si notre homme n’est pas un monstre de swing. Il manque un peu de mordant de temps en temps, la musique a tendance à devenir monotone et tout semble très arrangé. Mais il y a aussi de très bons moments comme le Tiger Rag inaugural (avec rugissement du coude gauche inclus), un Wolverine Blues remarquable, une précision, une qualité de toucher et une virtuosité d’ensemble de haute volée. Et surtout, il n’hésite pas à revoir à sa façon les morceaux sélectionnés, sans être une pâle copie du grand Jelly Roll. En prime, Topsy Chapman, invitée sur le dernier morceau, vient apporter une touche fraîche même si le piano est trop en avant (balance imparfaite).
Du bon travail donc, compte tenu du côté casse-gueule de l’entreprise, et, peut-être, pour certains, l’occasion de découvrir un des meilleurs pianistes de jazz traditionnel actuels. Pour mémoire, au concours de pochettes de mauvais goût, celle de ce CD peut sérieusement prétendre à une médaille.

Louis Mazetier
(Jazz Classique n°58)

Johnny Varro Swing 7

Varro
Ring Dem Bells. Arbors ARCD 19362. Corner Pocket - Stompy Jones - Yours Is My Heart Alone - Sweet Substitute - Softly, As in a Morning Sunrise - Ring Dem Bells - Only a Rose - Come Sunday - Suddenly It’s Spring - Shim-Me-Sha-Wabble - You Stepped Out of a Dream - Minute Waltz - One, Two Button Your Shoe - Buddy Bolden’s Blues - Sonny Speaks. Durée : 72’56.

Johnny Varro (p, lead, arr.), Randy Sandke (tp) Dan Barrett (tb), Ken Peplowski (cl, as), Scott Robinson (ts), Frank Tate (b), Joe Ascione (dm).
Johnny Varro est un pianiste, arrangeur et chef d’orchestre encore assez méconnu dans notre pays. Il débute sa carrière aux côtés de Bobby Hackett en 1953, puis remplace Ralph Sutton au club d’Eddie Condon en 1957. Il s’associe ensuite avec Condon jusqu’à son départ pour la Floride au milieu des années 60. Il joue beaucoup et avec de nombreux musiciens et forme son septette au début des années 90. Arbors rend hommage à cet important musicien en publiant un dixième disque sous son nom (solo, duo avec Ralph Sutton, quartette et désormais quatre disques à la tête du Swing 7).
Parmi ses influences pianistiques, Johnny Varro revendique en premier lieu celles de Jess Stacy et de Teddy Wilson. On les retrouvera aisément dans son jeu, marqué par une virtuosité apaisée, un beau toucher, une souple aisance, un sens harmonique très sûr au service d’idées qui vont droit au but. Un swing constant et léger parachève le tout. Soliste prenant qui sait varier les plaisirs - écoutez les mesures en “stride“ de Ring Dem Bells (l’un des chefs-d’œuvre offerts, qui ne donne pas pour rien son nom au disque) ou de One, Two Button Your Shoe ou encore un bref passage en “block chords“ -, c’est aussi un fantastique accompagnateur qui stimule les solistes et émerveille à ce titre en bien des endroits
Mais ce qui frappe avant tout à l’écoute de ce disque, comme d’ailleurs des précédents mais peut-être plus encore dans ce dernier, est l’efficacité de son écriture d’arrangeur, son art de coloriste sachant exploiter toute la palette offerte par l’instrumentation du septette appréhendée comme un mini big band. Chaque arrangement ravit l’oreille tout au long des interprétations, dans l’exposé des thèmes comme dans l’accompagnement des solistes. Certains d’entre eux constituent de véritables compositions, très fouillées et remarquables, qui apportent un éclairage nouveau et singulier à des thèmes pourtant fort connus (Come Sunday, par exemple). Tout est pensé avec un goût exquis jusqu’à la place des solistes dans chaque morceau et l’incorporation de leur mise en évidence dans le cadre des passages arrangés sans oublier le choix des tempos. C’est aussi la signature d’un grand chef d’orchestre ! Il faut apprécier comment il donne à Joe Ascione toute sa place tout en évitant le traditionnel solo de batterie, comment il encadre chaque solo de contrebasse pour éviter l’impression de monotonie… C’est un orfèvre !
Dans le livret, Michael Steinman, son signataire, rapporte le propos du chef d’orchestre : « J’écris très simplement, tout au moins c’est ce que je pense faire. Et ces types connaissent mon style… » Oui, ils le connaissent à la perfection et interprètent les passages les plus complexes avec une apparente facilité déconcertante même, d’ailleurs, lorsqu’ils ne jouent pas la musique de leur chef d’orchestre mais une œuvre de référence comme le chef-d’œuvre arrangé, signé Charlie Shavers, de Minute Waltz de Chopin dont l’orchestre de John Kirby avait donné la version que l’on pensait pourtant définitive.
La seule lecture du nom des musiciens éclaire immédiatement l’amateur. L’audition le confirmera pleinement dans la haute opinion qu’il se fait d’eux. Ils sont tous remarquables ! Oui, tous ! Il m’est arrivé d’exprimer, parfois, une opinion mitigée après avoir écouté en concert tel ou tel d’entre eux. Cette impression d’un moment précis ne reflète pas obligatoirement, qu’on se le dise, l’opinion générale que je me fais d’un musicien. L’admiration que je leur porte n’obère pas obligatoirement mon sens critique. Ainsi pour Scott Robinson, on se souviendra peut-être de mes réserves sur ses prestations dans le compte rendu que j’avais fait du festival d’Ascona 2007 voire pour certains de ses disques. Dans celui-ci, il est éblouissant ! Certes, on ne trouvera pas chez lui la sonorité large et charnue des plus impressionnants “Texas tenors“, plutôt celle d’un Quinichette, mais il sera donné de découvrir - si ce n’est déjà fait ! - un grand musicien et un sacré swingman ! Le phrasé est ici souvent remarquable et dévastateur exprimant une véritable science harmonique, une virtuosité sans faille et une totale liberté rythmique.
Tout le monde joue ici à son meilleur niveau porté par l’Art de Varro et par une rythmique toute en souplesse, unie comme les trois doigts d’une main. Chacun s’exprime dans un langage partagé, avec une envie sensible, en totale liberté à l’instar de Sandke qui se lâche dans ses quatre chorus superbes sur Ring Dem Bells.
Il faudrait détailler le jeu de chacun d’entre eux, analyser chaque interprétation mais cela nous mènerait incontestablement bien au-delà d’une simple chronique. Nous laisserons donc au lecteur le bonheur de la découverte en l’engageant vivement à partager notre bonheur à l’écoute de ce disque estampillé “100% swing“ !

Dominique Burucoa
(Jazz Classique n°55)

Thomas Winteler

Winteler001
3 CD. Memories CD 17 - 18 - 19.

VOL 1 / GEORGES MARTIN. Steal Away - Ape Man - Yearning And Blues - Drunk Man Strut - Wild Man Blues - Little Bits - Indigo Stomp - Struggling - Blue Piano Stomp - Oh ! Daddy - Saint Louis Blues - Salty Dog - Clarinet Wobble - San - Blue Clarinet Stomp - Brown Bottom Bess.
VOL 2 : THOMAS WINTELER.
Oh ! Lizzie - 29th and Dearborn - Ape Man - Blue Clarinet Stomp - Oriental Man - Steal Away - Struggling - Oh ! Daddy - Clarinet Wobble - Melancholy - Little Bits - New Saint Louis Blues - San - Lonesome Blues - Your Folks - Chicago Buzz - East Coast Trot.
VOL 3 : ALAIN MARQUET.
Steppin’ On The Gas - Beale Street Blues - Dixie Blues - Bohonkus Blues - Down Hearted Blues - Memphis Blues - Papa De Dada - Sweet Like This - Piggly Wiggly - Have Mercy - Tom Cat Blues - Mister Jelly Lord - Wild Man Blues - That Thing Called Love - Hyena Stomp.
Vente par correspondance : Jean-Pierre Daubresse – 6 Villa Cœur de Vey – 75014 Paris. Prix d’un CD : 18 euros (port compris). Les trois : 45 euros (port compris).
Bon, il faut que je m’y mette à cette chronique ! Ça fait deux mois que j’ai ces enregistrements et que je n’arrive pas à écrire quoi que ce soit ! Et, en plus, ça y est : voilà le dernier numéro de notre revue bien-aimée, ma dernière chronique… Et je ne sais toujours pas par quel bout la prendre !
Bon, nous sommes ici en présence de trois CD enregistrés par trois clarinettistes différents en hommage à Monsieur Johnny Dodds, entreprise concoctée par Jean-Pierre Daubresse et ses amis : Lou Lauprète (p), Georges Martin, Thomas Winteler et Alain Marquet (cl). C’est très bien et très louable de rendre hommage et de vouloir promouvoir la musique de Johnny Dodds, mais est-ce que ce triptyque fait avancer le Schmilblique ?
Musicalement, ces trois CD tiennent la route, mis à part quelques réticences personnelles comme, par exemple, un Fm7 (pourquoi ?) au début du thème de Wild Man Blues (version Georges Martin) et quelques autres pains ici ou là, peut-être dus à un certain manque de perfectionnisme… ou un manque de temps pour refaire des prises ?
Le jeu le plus proche de Dodds est celui de Thomas. Le plus personnel est bien sûr celui d’Alain. Quant à Georges, s’il a moins de technique et d’assurance que ses deux compères, on sent qu’il a un très grand plaisir à jouer cette musique et qu’il a eu un non moins grand plaisir à l’enregistrer avec ses amis.
Le travail des accompagnateurs est tout autant valable. Je mets de côté Enzo Mucci, Sylvain Glevarec et Gilles Chevaucherie sur lesquels je n’ai rien à redire ! Alain Marcheteau, à la guitare et au banjo, contribue à la couleur d’authenticité de la session « Martin », ainsi bien sûr que le jeu de piano de Lou, quoique manquant, à mon goût, du côté percussif des pianistes noirs des années 20. Je suis toujours frappé quand je réécoute les enregistrements originaux par l’attaque, le “time“ incroyable de ces musiciens. Je me répète mais c’était “Rock & Roll“ à l’époque, et même beaucoup plus puisqu’ils n’avaient pas de sonorisation ou d’amplification électrique, ce qui aujourd’hui facilite bien les choses ! J’aimerais bien voir un groupe de Trash Metal un jour de panne d’électricité !! Fin de la digression !
Ceci étant posé, quelle est la finalité de ce genre d’entreprise ? Je sais la passion de Jean-Pierre Daubresse pour Dodds et le plaisir qu’il a sûrement eu à produire ceci. Et, si j’en crois le contenu des livrets, ces trois CD auraient pour but de faire connaître ce grand clarinettiste de la Nouvelle-Orléans : « Mais qui était Johnny Dodds ? », but pédagogique louable s’il en est ! Mais est-ce que les gens qui ne connaissent pas Maître Johnny vont acheter cette production ? Je me pose la question avec quelques doutes. Est ce que, par exemple, je vais encourager des élèves à écouter ceci pour leur donner une idée de la musique de Dodds ? Je ne crois pas, préférant de beaucoup leur faire écouter le vrai, même si parfois certains enregistrements originaux peuvent rebuter des oreilles trop habituées aux MP3 !
Pour conclure, je dirais que nous sommes ici en présence d’un témoignage sympathique de quelques amis qui se sont réunis autour de leur passion commune pour Johnny Dodds, ce qui, ma foi, est déjà très bien. Mais, pour compléter ceci, j’aimerais bien une réédition intégrale un peu prestigieuse des enregistrements de ce grand clarinettiste !  

Jean-François Bonnel
(Jazz Classique n°58)