Ehud Asherie

Ehud Asherie, né en Israël, est un pianiste New
Yorkais de 30 ans dont le mode d'expression initial
est le bop et revendique Bud Powell comme son modèle.
Il a fait irruption sur la scène du piano jazz plus
traditionnel il y a environ deux ans, peu après sa
découverte d'un disque de François Rilhac qui a
suscité chez lui un tel enthousiasme qu'il a décidé
de s'intéresser de beaucoup plus près au stride en
particulier. Doté d'une technique très sûre, d'une
oreille remarquable et d'une volonté indispensable à
l'apprentissage d'un tel répertoire, il s'est vite
familiarisé avec James P. Johnson et Fats Waller.
Avide de tout, il n'a pas tardé à progresser
énormément depuis que je l'ai entendu la première
fois en Floride il y a deux ans. Nous avons tout
récemment joué ensemble en compagnie de Bernd
Lhotzky, Chris Hopkins, Rossano Sportiello, Paolo
Alderighi et Stéphanie Trick et il nous a tous
surpris et enchantés.
Ce CD, enregistré il y a huit mois, ne lui rend
qu'imparfaitement justice car il a progressé depuis,
et parce que la prise de son et le piano auraient pu
être meilleurs.
Les jeunes jazzmen actuels disposent aujourd'hui de
l'éventail intégral de tout ce qu'on a pu découvrir
et expérimenter dans cette musique depuis Jelly Roll
jusqu'à Brad Melhdau, pour ce qui est des pianistes.
A eux de choisir ce dont ils ont besoin pour
développer un langage personnel. Ehud personnalise
cette nouvelle catégorie de musiciens qui n'ont pas
décidé de se confiner à un style très spécifique mais
préfèrent tenter de concilier dans leur expression
une large palette d'influences. On pourra peut être
reprocher un côté hybride à sa musique mais je la
trouve beaucoup plus intéressante que la recréation
servile des grands solos des maitres, car cette
démarche permet une créativité et des explorations
nouvelles.
Le répertoire du CD est varié, il comporte des
standards du jazz, de la comédie musicale américaine,
du stride, du bop et une composition originale, tous
les titres ayant un rapport avec New York, dont Ehud
est fier d'être un citoyen.
Le tempo d'Ehud est sûr, il swingue parfois
intensément, il aime les nuances et les couleurs, il
respecte les mélodies et sait jouer avec les
harmonies.
Ehud a en audace et en gouaille ce qui lui manque un
peu pour le moment en élégance et en équilibre. C'est
aussi ce qui donne à son jeu cette fraîcheur,
notamment dans 52nd Street Theme, Autumn in New York,
42nd Street, Harlem Strut ou Take The A Train.
Certains morceaux en tempo lent sont tendres et
pénétrés, comme Autumn in New York, Manhattan, ou la
belle composition de Leonard Bernstein Lonely Town.
D'autres plus vifs font alterner les chorus bop et le
stride comme 52nd Street Theme (avec de cocasses
irruptions de Willie Smith ou Don Lambert dans un pur
bop) ou Harlem Bound (composition du pianiste me
rappelant Claude Hopkins).
Asherie a une vaste connaissance de la littérature du
piano jazz et on trouve à tout moment des citations
parfois inattendues de tel ou tel pianiste, entre
autres : The Peacocks de Jimmy Rowles dans Autumn in
New York, Steeple Chase de James P. Johnson dans 42nd
Street, Zig Zag du Lion dans l'introduction de 42nd
Street.
Voilà donc un premier CD en solo d'un artiste dont on
n'a pas fini d'entendre parler, et qui est un nouveau
rayon de soleil dans la petite confrérie des
pianistes de jazz traditionnel, même si son langage
est beaucoup plus vaste.
Louis Mazetier