Jacques Reda : L'improviste

Réda
JACQUES REDA. L'improviste. Une lecture du jazz (Nouvelle édition augmentée). Folio/Essais n° 143.

Jacques Réda écrit sur la musique. Un livre sur la musique, mine de rien, ce n'est pas si fréquent. Des livres sur les musiciens, oui, et même pléthore : ils nous racontent des histoires, biographisent à mort, se roule dans la tragédie et l'anecdote. Mais la musique, souvent ils ne font que l'effleurer. L'histoire des musiciens, ce n'est pas tout à fait l'histoire de la musique. Quant aux ouvrages qui traitent de la musique avant toute chose, ils sont précis, donc techniques, et n'emploient que des termes sans ambiguïté, donc savants ; et là, c'est la grande masse des lecteurs qui, faute d'avoir étudié des années durant l'harmonie au conservatoire, reste sur le carreau... Jacques Réda propose une solution pour être à la fois rigoureux et lisible, un genre de méthode. D'abord, foin des détails biographiques qui n'influent pas directement sur l'art du jazzman ; ensuite, quand il parle des notes qui résonnent dans le piano de Willie Smith The Lion, de la phrase de Harry Edison ou des silences de Basie, jamais il n'évoque quintes diminuées ou pentatonique mineure : il trouve les combinaisons de mots que seul un écrivain est capable d'inventer pour donner du corps à l'insaisissable et crée ainsi un solfège tout personnel, parfois aussi exigeant que le « vrai », mais qui n'exclut personne du moment qu'on sait lire. « Une lecture du jazz », comme dit le sous-titre, une écriture de la musique également...
Jacques Réda est poète. Ce n'est pas rien. Si
L'Improviste appartient à la collection « Folio Essais », l'œuvre est bien poétique. Non qu'il débite du vers libre au kilomètre ou trafique de la métaphore en gros mais il révèle des mondes cachés dans les enregistrements les plus fameux, tisse un lien entre les jazzmen, entre les périodes, reconstitue une Histoire qui, soyons honnêtes, pourrait bien nous avoir échappé... Il cherche dans les pianos ce qu'il y a et ce que nous n'avions pas su entendre. Un poète donc.
L'Improviste. Ce titre vous dit quelque chose : normal. L'Improviste rassemble deux livres précédemment publiés de Jacques Réda : L'Improviste (Une lecture du jazz) et Jouer le jeu (l'Improviste II). Pour la présente édition, l'auteur ne s'est pas contenté de coller deux textes anciens (1980 et 1985) car il s'est fait l'arrangeur de ses propres compositions, écartant et ajoutant de nouveaux thèmes. Que trouve-t-on alors dans cet « essai » ? Concernant la forme, un peu de tout, harmonisé par le style de l'écrivain : une analyse serrée du pianiste Ellington, le tombeau de Benny Goodman, les rêveries d'un Jelly Roll en promeneur solitaire, une lettre à Bud Powell, la chanson d'Eric Dolphy, un travail d'historien sur le compositeur Ellington, un portrait de Fletcher Henderson en chimiste, un précis d'archéologie monkienne, des dialogues imaginaires, des études comparées... Concernant le fond, on l'aura compris, l'œuvre de quelqu'un qui place le jazz à son juste pinacle.

Dominique Périchon