Courrier des recteurs

Trompette Dupin








Octobre. C'est l'époque des châtaignes et des marrons. Avant l'hiver, le petit monde engourdi des amateurs de jazz prend des vitamines pour affronter l'hiver. Chaque année, ils surdosent davantage, les malheureux... Du coup, ils doivent se défouler. Alors, comme les festivals sont finis et qu'il commence à faire frisquet, ils se rabattent sur les revues de jazz qu'ils dévorent l'après-midi, juste après Notre Temps et Valeurs Actuelles. A la lecture du dernier numéro de Jazz Classique, leur sang exalté par le jus d'orange ne fait qu'un tour : un chroniqueur dit du mal d'un disque ! Ah ! Quelle vilenie ! En plus, ce chroniqueur est lui aussi un musicien ! Traître ! Grossier personnage...
Alors, ils saisissent leur plume, enfilent la panoplie de Zorro qu'ils comptaient offrir à leur petit-fils à Noël (tant pis pour lui, ce petit con aura un CD des New Bumpers à la place) et vont leur dire leurs quatre vérités, à ces mal embouchés !
D'où courrier. Comme à la bonne époque des gros mots dans l'éditorial. Un courant se forme pour laver l'affront même si ce n'est qu'une tout petite minorité bruyante qui s'agite dans le Landerneau. Comme d'habitude.
Résumons sans enfoncer le clou : dans le numéro de septembre 2008, Jean-François Bonnel n'a pas aimé du tout le disque du bordelais Fred Dupin. Il n'a aimé ni le résultat, ni l'intention, ni la forme, ni le fonds de ce CD, et l'a dit avec des mots parfois crus mais sans hypocrisie.
D'où courrier. Le mouvement vengeur vient - comme c'est étrange ! - du département 33 en majorité et des limitrophes. Autant dire que les Lyonnais, les Corses et les Alsaciens n'ont pas été choqués par la chronique de Bonnel... C'est le Mur de l'Atlantique, le Front Régional de Défense des Artistes Locaux. On sent bien qu'il y a, parmi les mécontents, des copains du trompettiste, vous savez, de ces amis fidèles qui trouvent tout ce que vous faites for-mi-dable, vraiment, vraiment, sincèrement, é-pa-tant... Il n'y a pas pire !
On imagine aussi la tête de ceux qui ont réellement aimé le disque : un critique, et surtout un vrai musicien, enseignant qui plus est, leur met le nez dans leur propre incompétence, preuve à l'appui... Eh oui ! Ce qu'ils aiment, ce qu'ils louent, est objectivement contesté par un professionnel (je veux dire par là, pas un « musicologue » auto-proclamé mais un authentique spécialiste). Eux qui se croyaient amateurs éclairés ne sont que collectionneurs éteints. La honte, comme diraient les jeunes !
D'autres n'ont pas aimé le disque mais contestent les mots employés par le chroniqueur. On peut. On a le droit. On peut aussi écrire à chaque revue, à chaque chaîne de télé ou de radio dès qu'on n'est pas d'accord avec ce qu'on y raconte. Il faut pour cela avoir du temps à perdre et une grande estime de soi. Et les arguments sont toujours les mêmes : « En tant qu'abonné, je m'indigne gna gna gna... » Ou encore : « C'est facile de critiquer mais l'art patati patata... » D'abord, l'idée assez démagogique selon laquelle un journal appartient à ses lecteurs est pure foutaise. Jazz Classique n'est pas plus un service public. C'est une revue de bénévoles, écrites avec différentes sensibilités, différentes voix. Si vous voulez lire des chroniques uniformes, sans surprise et sans saveur, ça existe, et même depuis longtemps... Quant à l'exercice de la critique, je crois qu'il est très facile de chroniquer un Basie de 1937 sur lequel tout le monde s'est déjà exprimé, pas compliqué non plus de dire tout le bien qu'on pense d'un excellent disque récent. Mais c'est autre chose de parler des ratages complets du jazz actuel, français en particulier : il faut retrousser ses manches et descendre la poubelle. On peut refuser de le faire (comme on nous l'a souvent conseillé d'ailleurs) mais quel mépris pour l'artiste ! Le silence plutôt que le coup de gueule ? Je ne suis pas sûr que ce soit un choix très honnête. Oui, un musicien peut être sincère, mettre tout son coeur dans sa musique. Oui, la location d'un studio d'enregistrement est exorbitante et produire un CD aussi. Et alors ? Il faudrait lui trouver des circonstances atténuantes pour ces simples raisons ? Quand on présente une création au public, il faut s'attendre à tout. Y compris au pire. Ce qui est amusant dans ces cas-là, c'est que ce n'est jamais le principal intéressé qui réagit mais Machin et Consort qui font une sorte de transfert ou qui croient l'offensé incapable de riposter. Pas très sympathiques en définitive, les chevaliers blancs...
La promotion tous azimuts dans les médias a contaminé tous les publics. On ne sait plus combien pouvaient être virulentes les plumes des critiques d'il n'y a pas si longtemps, sans remonter à Léon Bloy ou aux Surréalistes, quand le débat autour de l'art était vivant, et non pas marchand, rampant. Mais le gros du public jazz a-t-il envie d'être titillé dans les charentaises de ses certitudes ? Il faut le voir, ce public habitué des concerts : la soixantaine, profession libérale, maison de campagne, un peu de cholestérol, aime les mots fléchés, le vin avec modération, le golf et les romans bien écrits. Chut... Ne le réveillons pas.


In extenso, voici reproduite ci-dessous la lettre d'un lecteur, vraisemblablement écrite sous ectasie (je l'espère), une perle, une merveille de syntaxe et de réflexion scatologique. Nous ne publions pas le nom de son auteur par pitié pour ses proches (mais, contre une enveloppe timbrée, on vous révélera l'identité de ce spécialiste des bandas) (oui, oui : il y a des spécialistes des bandas...). Plaidoirie :

« Pourquoi tant d’acharnement contre Fred DUPIN ?


Quand votre plume trempée de vitriol n’a plus comme inspiration que la volonté à détruire, n’a plus comme piètre vérité que celle d’anéantir le travail et la passion des autres, il vous faudra un jour faire une lente mais ô combien nécessaire introspection de votre âme, de sa propre résonance, afin d’essayer de comprendre pourquoi votre inspiration n’est plus maintenant qu’une arme qui ne défend plus rien en soi, mais se met au service de l’attaque des autres.
Est-ce à croire que lorsque l’on devient critique musical, tous les coups sont permis, gratuits, prémédités, et accompagnés de la seule vertu des lâches que l’on appelle l’hypocrisie. Quand on n’ose plus rien de soi, quand le miroir de sa vie ne renvoie que l’image minable d’un quelconque mercenaire du stylo à bille, on est loin du panache des ceux qui croient encore et toujours comme
Fred DUPIN au moment magique certes éphémère que procure la Musique.
Jamais les critiques n’ont fait avancer les artistes, (ils en vivent) du reste il n’existe à ce jour, aucune rue, aucune place publique portant le nom d’un critique célèbre.
Peut être un jour, seront affublées
[sic] sur la porte de quelconques toilettes publiques les lettres de votre nom, mais l’endroit certes propice à votre souvenir aura toujours la désagréable sensation qu’avec le glaçage du papier de votre revue rien ne pourra y accrocher et tout, à l’image de tout ce que vous écrivez en la matière, continuera inexorablement de glisser.
Vous vous targuez de défendre l’histoire, et d’interdire le retour en arrière, en hommage comme le fait
Fred DUPIN avec cette passion qui est toujours la sienne, intacte, durable, enracinée chez lui.
Lui, construit son futur au présent, tous les jours autour de ceux qu’il aime, musiciens, amis et famille aussi. Son temps est présent, son temps est précieux, il n’est fait que d’avenir, avec cette pointe de souvenir, et de nostalgie sur le temps passé, et ceux qui l’ont vécu.
[Si vous avez compris ce paragraphe, écrivez-nous]
Votre temps à vous n’est ni du présent, ni du passé, encore moins du futur. Par contre, l’imparfait, vous va à ravir. Mieux l’imparfait du subjonctif  qui me laisse vous dire: « Qui l’eût cru, un jour que vous ne sachiez à peu près faire que ce que vous pûtes….. » [Là, ca devrait se soigner avec un bon Bescherelle et des cours du soir]
Je n’ai aucune haine contre vous, car pour haïr les gens faut-il déjà les considérer. »

Ce qui illustre à merveille cette brève de comptoir : « Il pense tout haut. Du coup, on entend bien qu'il est con. »