Laurent Mignard Duke Orchestra

Mignard
Duke Ellington Is Alive. Juste une Trace. Ko-Ko – Harlem Airshaft - Black And Tan Fantasy - Kinda Dukish / Rockin’ Rhythm - Sophisticated Lady - Madness In Great Ones - Half the Fun - Diminuendo And Crescendo In Blue - Isfahan - The Eigth Veil - It Don’t Mean A Thing - Ad Lib On Nippon - Take The “A” Train. Durée : 72’.

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La musique d’Ellington est immortelle. Privilège de l’âge, contemporains du Duke, il nous a été donné d’entendre l’orchestre en direct et d’être littéralement soufflés et émus par la puissance de chacun de ses musiciens, les couleurs chatoyantes et multiples des ensembles, le swing qui se dégageait de cette formidable machine dans toute sa superbe et sa magnificence… Les disques, certains fort bien enregistrés, rapportent fidèlement toutes ces qualités irremplaçables des “spacemen“ mais, on ne le répétera jamais assez, rien ne saurait remplacer l’écoute en direct. La musique s’écoute, certes, mais elle se regarde aussi, se vit pleinement dans l’échange entre musiciens et publics. Le Duke Ellington Orchestra faisait aussi spectacle. Et quel spectacle ! À l’exigence à la fois charmeuse et implacable du chef répondait la grandeur des solistes créant avec un naturel déconcertant, parfois même avec des attitudes à la limite de la désinvolture, la plus belle des musiques… La musique d’Ellington était-elle donc condamnée à ne survivre à ses créateurs que par le disque ?
Le Duke Orchestra de Laurent Mignard nous incite à penser qu’il n’en est rien. Ce n’est pas là le moindre de ses mérites. À l’instar des grands compositeurs de l’histoire de la musique, celle d’Ellington / Strayhorn peut être interprétée. Il y faut du respect, de l’humilité, une grande culture, une haute technicité pour obtenir un résultat acceptable. Ce qui est vrai de Mozart, de Beethoven, de Ravel ou de Bartok l’est aussi d’Ellingron. Faire vivre l’œuvre de l’un des plus grands compositeurs du siècle passé est assurément un devoir. C’est la mission que Laurent Mignard a proposée à une belle phalange de jazzmen, tous admirateurs incontestés et, certains d’entre eux, reconnus de longue date comme spécialistes de l’œuvre. Le résultat, obtenu après un travail de recherche sérieux et une grande exigence artistique, est à la mesure du pari. Ce disque, enregistré en direct au cours de deux concerts, en est le témoin.
Après une première écoute, je n’ai pu m’empêcher de comparer avec l’original, allant même jusqu’à pousser le vice dans l’alternance de l’audition de l’une des versions d’origine avec celle de l’orchestre français. Vaine et désolante tentation d’incorrigible amateur ! Une écoute plus distanciée, raisonnée, je l’avoue, finalement plus libre, m’a enfin permis d’en goûter toute la substance. C’est alors seulement que sont apparues toutes les vertus de cette formation susceptible de perpétuer dignement l’œuvre du Maître. C’est alors encore que, faisant fi de toute comparaison, j’ai goûté à la spontanéité des solistes qui, dans la révérence, savent apporter leurs voix originales (Philippe Milanta, Bruno Rousselet, Nicolas Montier, Aurélie Tropez…), ceux qui, transpirant la passion, savent admirablement restituer l’accent des aînés (Biensan, Desbois, Chagne, Richard Blanchet…). Signalons aussi la présence de Patrick Bacqueville dans le rôle de Ray Nance, en qualité de chanteur sur deux titres, avec une belle démonstration de “scat“. Mais on aimerait qu’ils puissent aller plus loin, soit restituer le plus fidèlement l’original et le prolonger avec une plus grande liberté encore afin que la musique soit reconnue non seulement comme définitivement immortelle mais demeure pleinement vivante pour le plus grand bonheur des plus anciens comme de ceux qui n’ont pas eu la possibilité de vivre un concert Ellington ! En ce sens, le formidable travail de restitution de Laurent Mignard et de son orchestre mérite toute notre attention et notre soutien. L’achat de cet enregistrement contribuera à les manifester…
Pour terminer, une remarque cependant sur certains choix de mixage qui ne nous ont pas toujours semblé les plus opportuns : comme la présence peu naturelle (un peu trop soutenue) de certaines voix dans les ensembles et le cruel manque de présence de la batterie à de nombreux moments (dans les passages en trio notamment, la faiblesse des cymbales dans les ensembles). Enfin, si le choix de l’enregistrement en direct est parfaitement compréhensible, on regrettera l’absence des bruits et réactions de la salle attestant du direct, une forme d’aseptisation qui, plus ennuyeux, va même jusqu’à la perception très relative du chœur des musiciens en réponse aux phrases lancées par le pianiste dans Kinda Dukish par exemple. Des éléments qui auraient apporté de la vie et auraient donné toute sa justification au choix du direct.

Dominique Burucoa
(Jazz Classique n°57)