Laurent Mignard Duke Orchestra

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La musique d’Ellington est immortelle.
Privilège de l’âge, contemporains du Duke, il
nous a été donné d’entendre l’orchestre
en direct et d’être littéralement soufflés et
émus par la puissance de chacun de ses musiciens, les
couleurs chatoyantes et multiples des ensembles, le
swing qui se dégageait de cette formidable machine
dans toute sa superbe et sa magnificence… Les
disques, certains fort bien enregistrés, rapportent
fidèlement toutes ces qualités irremplaçables des
“spacemen“ mais, on ne le répétera jamais
assez, rien ne saurait remplacer l’écoute en
direct. La musique s’écoute, certes, mais elle
se regarde aussi, se vit pleinement dans
l’échange entre musiciens et publics. Le Duke
Ellington Orchestra faisait aussi spectacle. Et quel
spectacle ! À l’exigence à la fois
charmeuse et implacable du chef répondait la grandeur
des solistes créant avec un naturel déconcertant,
parfois même avec des attitudes à la limite de la
désinvolture, la plus belle des musiques… La
musique d’Ellington était-elle donc condamnée à
ne survivre à ses créateurs que par le disque ?
Le Duke Orchestra de Laurent Mignard nous incite à
penser qu’il n’en est rien. Ce
n’est pas là le moindre de ses mérites. À
l’instar des grands compositeurs de
l’histoire de la musique, celle
d’Ellington / Strayhorn peut être interprétée.
Il y faut du respect, de l’humilité, une grande
culture, une haute technicité pour obtenir un
résultat acceptable. Ce qui est vrai de Mozart, de
Beethoven, de Ravel ou de Bartok l’est aussi
d’Ellingron. Faire vivre l’œuvre de
l’un des plus grands compositeurs du siècle
passé est assurément un devoir. C’est la
mission que Laurent Mignard a proposée à une belle
phalange de jazzmen, tous admirateurs incontestés et,
certains d’entre eux, reconnus de longue date
comme spécialistes de l’œuvre. Le
résultat, obtenu après un travail de recherche
sérieux et une grande exigence artistique, est à la
mesure du pari. Ce disque, enregistré en direct au
cours de deux concerts, en est le témoin.
Après une première écoute, je n’ai pu
m’empêcher de comparer avec l’original,
allant même jusqu’à pousser le vice dans
l’alternance de l’audition de l’une
des versions d’origine avec celle de
l’orchestre français. Vaine et désolante
tentation d’incorrigible amateur ! Une
écoute plus distanciée, raisonnée, je l’avoue,
finalement plus libre, m’a enfin permis
d’en goûter toute la substance. C’est
alors seulement que sont apparues toutes les vertus
de cette formation susceptible de perpétuer dignement
l’œuvre du Maître. C’est alors
encore que, faisant fi de toute comparaison,
j’ai goûté à la spontanéité des solistes qui,
dans la révérence, savent apporter leurs voix
originales (Philippe Milanta, Bruno Rousselet,
Nicolas Montier, Aurélie Tropez…), ceux qui,
transpirant la passion, savent admirablement
restituer l’accent des aînés (Biensan, Desbois,
Chagne, Richard Blanchet…). Signalons aussi la
présence de Patrick Bacqueville dans le rôle de Ray
Nance, en qualité de chanteur sur deux titres, avec
une belle démonstration de “scat“. Mais
on aimerait qu’ils puissent aller plus loin,
soit restituer le plus fidèlement l’original et
le prolonger avec une plus grande liberté encore afin
que la musique soit reconnue non seulement comme
définitivement immortelle mais demeure pleinement
vivante pour le plus grand bonheur des plus anciens
comme de ceux qui n’ont pas eu la possibilité
de vivre un concert Ellington ! En ce sens, le
formidable travail de restitution de Laurent Mignard
et de son orchestre mérite toute notre attention et
notre soutien. L’achat de cet enregistrement
contribuera à les manifester…
Pour terminer, une remarque cependant sur certains
choix de mixage qui ne nous ont pas toujours semblé
les plus opportuns : comme la présence peu
naturelle (un peu trop soutenue) de certaines voix
dans les ensembles et le cruel manque de présence de
la batterie à de nombreux moments (dans les passages
en trio notamment, la faiblesse des cymbales dans les
ensembles). Enfin, si le choix de
l’enregistrement en direct est parfaitement
compréhensible, on regrettera l’absence des
bruits et réactions de la salle attestant du direct,
une forme d’aseptisation qui, plus ennuyeux, va
même jusqu’à la perception très relative du
chœur des musiciens en réponse aux phrases
lancées par le pianiste dans Kinda Dukish par
exemple. Des éléments qui auraient apporté de la vie
et auraient donné toute sa justification au choix du
direct.
Dominique Burucoa
(Jazz Classique
n°57)