Paris Swing Orchestra

Paris Swing Orchestra
Swingin’ Sidney Bechet. Black & Blue BB 706.2. Promenade aux Champs Elysées - Buddy Bolden Stomp - Chant Of The Night - Suey - Summertime - Dans les rues d’Antibes - Southern Sunset - Strange Fruit - Big Chief - Petite fleur - Viper Mad - En attendant le jour. Durée : 50’27.

Distribution Socadisc.
Voici un disque qui fait honneur au jazz français.
Bien que l’on ait déjà pu apprécier le dynamisme et les qualités du Paris Swing Orchestra, on ne peut qu’être agréablement surpris par la réalisation d’un tel album. En effet, dans le cadre des célébrations du cinquantenaire de la disparition de Sidney Bechet, il fallait un certain culot pour écrire des orchestrations de “tubes“ tels que Petite fleur et Dans les rues d’Antibes ! Un grand coup de chapeau, donc, à Marc Richard et Jean-Pierre Dumontier. Mais, disons-le d’emblée, cette entreprise prend toute sa valeur grâce au talent d’un magicien du saxophone, j’ai nommé Monsieur André Villéger.
Avant d’analyser plus en détail ces douze interprétations, j’aimerais mettre l’accent sur le choix judicieux des thèmes, alternant avec bonheur des compositions de la période “française“ de Sidney avec des morceaux de sa période “américaine“ enregistrés avant la deuxième guerre mondiale.
Promenade aux Champs Elysées. Dès les premières mesures, on est frappé par la couleur sonore du big band qui n’est pas sans évoquer la grande époque de Jimmie Lunceford (avec un réjouissant trio de trombones). Après une improvisation d’André Villéger pleine de musicalité en même temps que d’audace (Oh ! Les belles quintes diminuées…), la promenade se conclut avec élégance par un dialogue entre cuivres et anches du plus bel effet.
Buddy Bolden Stomp. Après avoir apprécié le chorus de trombone de Patrick Bacqueville (qui sait à coup sûr ce que le mot “swing“ veut dire), je ne peux m’empêcher d’imaginer Wellman Braud et Pops Foster au paradis des jazzmen (je suis sûr qu’il y en a un…) se régalant à l’écoute du slapping de Gilles Chevaucherie. Le morceau se termine par un solo d’André Villéger dont émane une flamme digne du maître.

Avec Chant Of The Night, on entre de plain-pied dans le vif du sujet. Il s’agit bien là d’une re-création du magnifique thème de Bechet dont Villéger a si bien assimilé le lyrisme et dans lequel il nous gratifie d’un solo qui met en relief “l’esprit“ de cette musique plutôt que d’en reprendre la “lettre“. Soulignons au passage les interventions de guitare enveloppées de moelleux backgrounds de cuivres, fort bien venues dans cette évocation des séances d’avant-guerre.
Suey est exposé par l’orchestre avec une légèreté et une fraîcheur réjouissantes. Le vocal et le chorus de ténor qui suit sont tout à fait dans le style des petites formations de l’époque. On notera à nouveau avec quel à-propos André Villéger invente des phrases dans le plus pur esprit de Bechet.
Cette remarque s’applique également à la composition de Gershwin, Summertime, qui, rappelons-le, était un cheval de bataille de Sidney. L’astucieuse orchestration de Marc Richard nous replonge dans l’atmosphère du fameux Nightmare d’Artie Shaw.
Pour avoir si souvent subi l’exécution des Rues d’Antibes par des orchestres soi-disant “New Orleans“ lors de parades ou d’animations dans les “festivals off“, on ne peut que se réjouir à l’écoute de l’arrangement de J.P. Dumontier que n’aurait pas désavoué un certain Fletcher Henderson. En prime, nous avons droit à un beau chorus de trompette de Michel Bonnet.
Bien que faisant référence à une formation relativement étoffée, l’exposé de Southern Sunset en grande formation me paraît moins convaincant. Peut-être est-ce dû à un tempo légèrement plus rapide que l’original. Quoi qu’il en soit, un chase inattendu entre le soprano et la clarinette ajoute un certain côté pittoresque à cette interprétation, mais on s’éloigne quelque peu ici de l’esthétique de Bechet.
Strange Fruit. Avec ce morceau qui fut popularisé par Billie Holiday et dont Sidney avait enregistré en trio une sublime version, nous entrons dans un univers particulièrement envoûtant. Après une introduction de piano pleine de poésie, Villéger empoigne le thème dans une envolée lyrique qui souligne à merveille le côté “tsigane“ de Bechet dans ce genre d’interprétation.
Big Chief donne lieu à un swingant exposé par l’orchestre sur un thème qui ne s’y prête pas particulièrement. Après de plaisants chorus de Michel Bonnet, Nicolas Montier et Patrick Bacqueville, il faut souligner à nouveau avec quel naturel Villéger improvise dans le style de Bechet.
Petite fleur. Merci au Paris Swing Orchestra d’avoir donné une nouvelle vie à ce thème ultra rabâché. Quelle musicalité dans l’intro au soprano et l’exposé du thème ! Après un superbe tutti de saxes dû à la plume de Marc Richard, Nicolas Montier se lance dans une fougueuse improvisation sur laquelle plane l’ombre du grand Coleman Hawkins. Reprise du thème pleine de sensibilité qui se termine par une fulgurante coda à la hauteur de l’introduction.
Bonne idée que d’avoir repris ce Viper Mad qui sent bon l’ambiance des petites formations de Noble Sissle. C’est assurément une des plages qui balance le plus. Bravo à Patrick Bacqueville et Michel Bonnet qui nous restituent si bien cette atmosphère.
En attendant le jour, une des plus belles mélodies composées par Sidney durant son séjour parisien, conclut avec bonheur, dans un climat très Glenn Miller, ce vibrant hommage rendu à Sidney Bechet.
Croyez-moi, chers lecteurs de Jazz Classique, il ne vous reste qu’une chose à faire : acheter le disque !

Gérard Badini
(Jazz Classique n°57)