Paris Swing Orchestra

Distribution
Socadisc.
Voici un disque qui fait honneur au jazz français.
Bien que l’on ait déjà pu apprécier le
dynamisme et les qualités du Paris Swing Orchestra,
on ne peut qu’être agréablement surpris par la
réalisation d’un tel album. En effet, dans le
cadre des célébrations du cinquantenaire de la
disparition de Sidney Bechet, il fallait un certain
culot pour écrire des orchestrations de
“tubes“ tels que Petite fleur et Dans les
rues d’Antibes ! Un grand coup de chapeau,
donc, à Marc Richard et Jean-Pierre Dumontier. Mais,
disons-le d’emblée, cette entreprise prend
toute sa valeur grâce au talent d’un magicien
du saxophone, j’ai nommé Monsieur André
Villéger.
Avant d’analyser plus en détail ces douze
interprétations, j’aimerais mettre
l’accent sur le choix judicieux des thèmes,
alternant avec bonheur des compositions de la période
“française“ de Sidney avec des morceaux
de sa période “américaine“ enregistrés
avant la deuxième guerre mondiale.
Promenade aux Champs Elysées. Dès les premières
mesures, on est frappé par la couleur sonore du big
band qui n’est pas sans évoquer la grande
époque de Jimmie Lunceford (avec un réjouissant trio
de trombones). Après une improvisation d’André
Villéger pleine de musicalité en même temps que
d’audace (Oh ! Les belles quintes
diminuées…), la promenade se conclut avec
élégance par un dialogue entre cuivres et anches du
plus bel effet.
Buddy Bolden Stomp. Après avoir apprécié le chorus de
trombone de Patrick Bacqueville (qui sait à coup sûr
ce que le mot “swing“ veut dire), je ne
peux m’empêcher d’imaginer Wellman Braud
et Pops Foster au paradis des jazzmen (je suis sûr
qu’il y en a un…) se régalant à
l’écoute du slapping de Gilles Chevaucherie. Le
morceau se termine par un solo d’André Villéger
dont émane une flamme digne du
maître.
Avec Chant Of The
Night, on entre de plain-pied dans le vif du sujet.
Il s’agit bien là d’une re-création du
magnifique thème de Bechet dont Villéger a si bien
assimilé le lyrisme et dans lequel il nous gratifie
d’un solo qui met en relief
“l’esprit“ de cette musique
plutôt que d’en reprendre la
“lettre“. Soulignons au passage les
interventions de guitare enveloppées de moelleux
backgrounds de cuivres, fort bien venues dans cette
évocation des séances d’avant-guerre.
Suey est exposé par l’orchestre avec une
légèreté et une fraîcheur réjouissantes. Le vocal et
le chorus de ténor qui suit sont tout à fait dans le
style des petites formations de l’époque. On
notera à nouveau avec quel à-propos André Villéger
invente des phrases dans le plus pur esprit de
Bechet.
Cette remarque s’applique également à la
composition de Gershwin, Summertime, qui,
rappelons-le, était un cheval de bataille de Sidney.
L’astucieuse orchestration de Marc Richard nous
replonge dans l’atmosphère du fameux Nightmare
d’Artie Shaw.
Pour avoir si souvent subi l’exécution des Rues
d’Antibes par des orchestres soi-disant
“New Orleans“ lors de parades ou
d’animations dans les “festivals
off“, on ne peut que se réjouir à
l’écoute de l’arrangement de J.P.
Dumontier que n’aurait pas désavoué un certain
Fletcher Henderson. En prime, nous avons droit à un
beau chorus de trompette de Michel Bonnet.
Bien que faisant référence à une formation
relativement étoffée, l’exposé de Southern
Sunset en grande formation me paraît moins
convaincant. Peut-être est-ce dû à un tempo
légèrement plus rapide que l’original. Quoi
qu’il en soit, un chase inattendu entre le
soprano et la clarinette ajoute un certain côté
pittoresque à cette interprétation, mais on
s’éloigne quelque peu ici de l’esthétique
de Bechet.
Strange Fruit. Avec ce morceau qui fut popularisé par
Billie Holiday et dont Sidney avait enregistré en
trio une sublime version, nous entrons dans un
univers particulièrement envoûtant. Après une
introduction de piano pleine de poésie, Villéger
empoigne le thème dans une envolée lyrique qui
souligne à merveille le côté “tsigane“ de
Bechet dans ce genre d’interprétation.
Big Chief donne lieu à un swingant exposé par
l’orchestre sur un thème qui ne s’y prête
pas particulièrement. Après de plaisants chorus de
Michel Bonnet, Nicolas Montier et Patrick
Bacqueville, il faut souligner à nouveau avec quel
naturel Villéger improvise dans le style de Bechet.
Petite fleur. Merci au Paris Swing Orchestra
d’avoir donné une nouvelle vie à ce thème ultra
rabâché. Quelle musicalité dans l’intro au
soprano et l’exposé du thème ! Après un
superbe tutti de saxes dû à la plume de Marc Richard,
Nicolas Montier se lance dans une fougueuse
improvisation sur laquelle plane l’ombre du
grand Coleman Hawkins. Reprise du thème pleine de
sensibilité qui se termine par une fulgurante coda à
la hauteur de l’introduction.
Bonne idée que d’avoir repris ce Viper Mad qui
sent bon l’ambiance des petites formations de
Noble Sissle. C’est assurément une des plages
qui balance le plus. Bravo à Patrick Bacqueville et
Michel Bonnet qui nous restituent si bien cette
atmosphère.
En attendant le jour, une des plus belles mélodies
composées par Sidney durant son séjour parisien,
conclut avec bonheur, dans un climat très Glenn
Miller, ce vibrant hommage rendu à Sidney Bechet.
Croyez-moi, chers lecteurs de Jazz Classique, il ne
vous reste qu’une chose à faire : acheter
le disque !
Gérard Badini
(Jazz Classique
n°57)