Dorado Schmitt

Rarement un disque
aura mérité d’être appelé si justement
“album“ car le dernier CD de Dorado est
bel et bien un album de famille : le titre, la photo
de pochette, les dédicaces et, avant tout, les
musiciens montrent que les Établissements Schmitt,
Père & fils (& neveu & beau-frère),
spécialisés dans le swing au détail et la pompe pas
mécanique, sont une entreprise qui tourne bien.
D’abord, le père. Dorado, malgré sa discrétion,
une figure importante de la culture manouche,
compositeur, guitariste, violoniste - et à chaque
fois d’une égale originalité. Il délaisse ici
son archet et offre quelques-unes de ces mélodies qui
sonnent avec l’évidence d’un standard :
pour preuve, le Miro Django d’ouverture ou la
Gozes Valse... Quant au guitariste, à
l’improvisateur, il marque de son jeu personnel
et raffiné le jazz manouche depuis le début des
années 80. Ce disque confirme la classe du monsieur,
sans toutefois offrir une de ces interprétations qui
brillent d’un génie particulier et qu’on
écoute en boucle pendant deux mois.
Dorado n’a pas que du talent : il a aussi des
fils (et un neveu) (et un beau-frère). On a déjà dit
ici tout le bien qu’on pensait de Samson,
l’aîné, rencontré notamment sur “Les
Enfants de Django“ : son Samsong swingue sans
stress, flânant sur les grilles, le médiator
décontracté. Les deux autres garçons, Bronson sur
Nuages et Amati sur Minor Swing, puis le neveu Brady
Winterstein sur Topsy, semblent eux aussi avoir
retenu la leçon de Dorado, qui voudrait que la
musique rime d’abord avec feeling et
qu’un chorus doit être aussi mélodique que
possible. L’école familiale fut, de toute
évidence, excellente mais s’il y a un domaine
où l’hérédité ne joue guère, c’est bien
le génie, et ces jeunes gens-là ne doivent leurs
qualités qu’à eux-mêmes. La tradition se
perpétue avec le talent confirmé de Samson et la
relève semble assurée par ces jeunes guitaristes
pleins de promesses.
Fidèle depuis des années à Dorado (quand il
n’accompagne pas Biréli), Hono Winterstein est
devenu au fil du temps LE guitariste rythmique qui
soutient, encourage, dope les chorus des solistes.
Côté family, il est le beau-frère. En passe de
devenir aussi inévitable que Hono dans les disques
manouches, Gautier Laurent tient la contrebasse, et
Stéphane Huchard les balais, si discrètement
qu’ils se fondent avec les guitares. Que
demander de plus à une rythmique ?
Marcel Loeffler et son accordéon, sur six titres. Si
le musicien est brillant, on a un peu
l’impression qu’il joue parfois le rôle
de “l’invité sur un disque de jazz
manouche“, un rôle respectable en soi mais dont
la nécessité (qui a tendance à virer au systématique)
ne se fait pas toujours ressentir.
Deux raisons principales d’acheter ce CD de
Dorado Schmitt : retrouver un grand musicien dans un
bon disque, bien entouré, et découvrir ceux qui
seront peut-être demain les grands noms de cette
musique.
Dominique Périchon
(Jazz Classique
n°58)