Selmer 607

Cinq jeunes
guitaristes dans le vent et une vénérable dame de 63
ans se partagent la vedette de ce disque. Les cinq
jeunes gens appartiennent à la grande famille de la
guitare manouche dernière génération. Adrien
Moignard, Rocky Gresset, Sébastien Giniaux, Richard
Manetti et Noé Reinhardt, dont le talent n’est
plus à confirmer, s’inscrivent dans une
tradition qu’ils transcendent, ne se référant
plus à un modèle unique (Django) et
s’autorisant des voyages musicaux que nul
n’oserait leur reprocher... La vieille dame,
elle, a eu droit à un lifting. Cette Selmer
authentique et rare (le modèle 607 a été fabriqué en
1946), très proche de la 503 que possédait Django
Reinhardt, sonne, au dire des cinq musiciens,
d’une manière unique. Et il n’est pas
besoin d’être guitariste manouche pour goûter
la richesse du timbre, le dynamisme de chaque note,
la beauté des accords. Le son à lui seul est une
aventure. Chaque jeune guitariste a droit à trois
morceaux en leader, accompagné d’un membre de
cette phalange ou d’un invité (Benoît Convert,
Nicolas Blampain à la guitare ; Guillaume Singer au
violon), épaulé par une rythmique commune (Jérémie
Arranger à la contrebasse ; David Gastine et Ghali
Hadefi aux guitares rythmiques, ce dernier également
producteur du disque). Chacun joue un titre du
répertoire de Django et laisse ses goûts et, parfois,
son talent de compositeur, compléter son programme.
Rocky Gresset joue donc un Django et deux standards,
trois atmosphères différentes que réunit un phrasé
délicat toujours en quête de mélodie. Sébastien
Giniaux semble se dire qu’une pareille occasion
ne se reproduira pas de si tôt et profite bien de la
Selmer, des graves aux aigus, essaie tout ce
qu’une guitare manouche est capable de jouer.
Adrien Moignard demande à la Selmer des titres
qu’elle n’a sans doute pas souvent
interprétés (What A Wonderful World et Impressions de
Coltrane) ainsi qu’un Billet doux qu’il
fait chanter comme personne. Richard Manetti débute
avec une superbe composition, Natacha, se lance dans
un tango tendu et maîtrisé, et un Topsy plus
classique qu’il sait toutefois rendre
personnel. Noé Reinhardt, enfin, est exemplaire pour
la souplesse de son coup de poignet, le son
chaleureux qu’il sort du précieux instrument
dans Vette, pour un ultime Instants volés qui
ressemble à une pure impro en compagnie de Rocky
Gresset...
Voilà un vrai disque, avec un projet, une unité, un
soin particulier adressé à l’enregistrement et
au livret. Il y a même un site très intéressant
(www.selmer607.fr). C’est aussi - et surtout -
une manière subtile de découvrir ces jeunes
musiciens.
Dominique Périchon
(Jazz Classique
n°54)