Thierry Ollé

Ollé001
Miss No. OT 0801 (distribution Jazzophile/Jazztrade). Careless Love - Premier bal - When I Grow Too Old To Dream - Do You Know What It Means To Miss New Orleans - Someday You’ll Be Sorry - Saint James Infirmary - Sweet Georgia Brown - What A Wonderful World - Fidgety Feet - Doctor Jazz - Avalon - Black and Blue - Wrap Your Troubles In Dreams - After You’ve Gone - Alexanders Ragtime Band. Durée : 73’01.

Thierry Ollé (p), Serge Oustiakine (b, voc), Guillaume Nouaux (dm).
Distribué par Jazztrade. Vente en ligne sur Fnac, Alapage ou CDmail.
Né en 1970 à Toulouse, Thierry Ollé est surtout connu des amateurs de jazz pour sa participation en tant que pianiste au Tuxedo Big Band et aux petites formations de Paul Chéron. Excellent accompagnateur, il a joué aux côtés de très nombreux musiciens, notamment des Américains de passage en France, et au sein de différentes formations du Sud mais a aussi travaillé dans le domaine de la chanson, notamment avec Yvan Cujious pour lequel il a composé et arrangé. Pour le peu que je le connaisse, Thierry Ollé m’est toujours apparu comme un homme attentif, discret et aimable… Il faut toujours se méfier de l’eau qui dort ou, plus exactement, de celle qui fait semblant ! Certains de ses solos, appréciés ici ou là, dénotaient un sacré tempérament…
À une époque où la technique et quelques espèces sonnantes et trébuchantes permettent à tout un chacun de se donner une actualité artistique, ce musicien recherché et reconnu, qui fait vivre depuis de nombreuses années le jazz de haut niveau dans le Midi, a attendu longtemps, avec patience et sagesse, le mûrissement de l’enregistrement du premier disque de jazz sous son nom.
À la réception du sobre digipack, à l’esthétique soignée, orné d’une photo de couverture amusante, la lecture des accompagnateurs est rassurante : deux musiciens eux-aussi reconnus et solides. Celle des titres l’est aussi, un peu décevante peut-être même : de bons vieux standards. Mais, dès les premières mesures de Careless Love, l’oreille se dresse, excitée !
D’abord, le son du piano est beau. Il met bien en évidence la qualité du toucher et la dynamique du jeu. Au mixage, un choix a été fait : le piano est au premier plan. De notre point de vue, un peu au détriment de la contrebasse et de la batterie qui auraient pu être remontées légèrement à certains moments afin de donner plus de confort à l’auditeur.
En soi, prendre les classiques de la Nouvelle-Orléans, devenus des standards, pour se les réapproprier en essayant de les traiter différemment, n’a rien de révolutionnaire. Beaucoup l’ont fait et le feront encore avec plus ou moins de bonheur. La gageure est de parvenir à donner un sens à cette tentative de fabrication du neuf à partir de l’ancien. Thierry Ollé a pensé son affaire et l’on comprend pourquoi il s’en est donné le temps.
Son jeu est nourri de nombreuses influences digérées que sa technique exprime avec facilité : Hank Jones, Sir Roland Hanna, Barry Harris, Thelonious Monk, Ahmad Jamal mais aussi Erroll Garner, Gene Harris ou Monty Alexander pour le côté le plus flamboyant... Au fil des interprétations, sa culture les exprime avec une rare maîtrise. Sans tentation de copie, elles émergent avec naturel dans le flot du discours musical.
Comme tout musicien de jazz qui se respecte, ces thèmes, nos trois compères les ont joués et rejoués des centaines de fois. Ils les connaissent en profondeur. Ils pourraient avoir le sentiment d’en avoir fait le tour mais ils savent que si ce matériau a traversé ainsi les époques, repris et illustré par les plus grands, c’est que, intrinsèquement, sa richesse est grande et qu’il convient d’adopter vis à vis de lui une attitude à la fois humble et passionnée sans exclure la créativité. Thierry Ollé apporte sa contribution par une subtile harmonisation, voire une véritable transfiguration des thèmes. De ce point de vue, l’interprétation de Saint James Infirmary ne constitue qu’une évocation de l’œuvre originale et, avec moins de modestie, le pianiste et le contrebassiste auraient pu signer la pièce sans que personne n’y trouve rien à redire !
Enfin, il ne suffit pas, pour convaincre, de prendre des thèmes, aussi beaux soient-ils, et de les jouer du mieux possible pour réussir un bon disque, captivant pendant plus d’une heure ! Il faut penser le traitement que l’on adoptera pour chacun d’entre eux, rechercher de la diversité tant du point de vue de la couleur que du rythme (vous en trouverez ici un florilège), donner à l’ensemble une cohérence, en un mot, un style. Les plus grands y parviennent avec la fausse apparence de la facilité, en faisant mine d’expédier une séance d’enregistrement en quelques heures. Le croire serait oublier le travail en solitaire et la fréquence des concerts qui, l’un et l’autre, forgent la pensée musicale, l’approche personnelle - et collective dans le cas de formations régulières - de chaque morceau.
Tout cela, et vraisemblablement beaucoup d’autres choses encore, Thierry Ollé l’a pensé avant d’entrer en studio les 8, 9 et 10 septembre derniers. Et cela s’entend.
À ses côtés, la présence des deux autres musiciens n’est en aucune manière le fruit du hasard. Comme lui, ils partagent, les oreilles grandes ouvertes, une même passion pour cette musique dont l’essence demeure le swing. Elle les réunit au-delà de l’amitié qui les lie. Cela s’entend aussi.
Serge Oustiakine donne une belle assise au trio avec une justesse et une pulse qui réjouissent. Ses courtes interventions en solo sont sobres et efficaces. J’apprécie moins ses talents de chanteur (Someday You’ll Be Sorry et What A Wonderful World) bien que ses interventions vocales donnent une diversité supplémentaire à l’ensemble.
Guillaume Nouaux, que l’on connaît comme l’un des meilleurs batteurs de style New Orleans de la planète, dévoile, à ceux qui le connaissent encore insuffisamment, ses multiples visages. Chacune de ses interventions en soliste réjouira par sa richesse et sa variété…
Je n’en dirai pas plus, préférant vous laisser le soin de découvrir par vous-même cette réussite. Courez chez votre disquaire préféré.

Dominique Burucoa
(Jazz Classique n°54)