Thierry Ollé

Thierry Ollé (p),
Serge Oustiakine (b, voc), Guillaume Nouaux (dm).
Distribué par Jazztrade. Vente en ligne sur Fnac,
Alapage ou CDmail.
Né en 1970 à Toulouse, Thierry Ollé est surtout connu
des amateurs de jazz pour sa participation en tant
que pianiste au Tuxedo Big Band et aux petites
formations de Paul Chéron. Excellent accompagnateur,
il a joué aux côtés de très nombreux musiciens,
notamment des Américains de passage en France, et au
sein de différentes formations du Sud mais a aussi
travaillé dans le domaine de la chanson, notamment
avec Yvan Cujious pour lequel il a composé et
arrangé. Pour le peu que je le connaisse, Thierry
Ollé m’est toujours apparu comme un homme
attentif, discret et aimable… Il faut toujours
se méfier de l’eau qui dort ou, plus
exactement, de celle qui fait semblant !
Certains de ses solos, appréciés ici ou là,
dénotaient un sacré tempérament…
À une époque où la technique et quelques espèces
sonnantes et trébuchantes permettent à tout un chacun
de se donner une actualité artistique, ce musicien
recherché et reconnu, qui fait vivre depuis de
nombreuses années le jazz de haut niveau dans le
Midi, a attendu longtemps, avec patience et sagesse,
le mûrissement de l’enregistrement du premier
disque de jazz sous son nom.
À la réception du sobre digipack, à
l’esthétique soignée, orné d’une photo de
couverture amusante, la lecture des accompagnateurs
est rassurante : deux musiciens eux-aussi reconnus et
solides. Celle des titres l’est aussi, un peu
décevante peut-être même : de bons vieux
standards. Mais, dès les premières mesures de
Careless Love, l’oreille se dresse,
excitée !
D’abord, le son du piano est beau. Il met bien
en évidence la qualité du toucher et la dynamique du
jeu. Au mixage, un choix a été fait : le piano
est au premier plan. De notre point de vue, un peu au
détriment de la contrebasse et de la batterie qui
auraient pu être remontées légèrement à certains
moments afin de donner plus de confort à
l’auditeur.
En soi, prendre les classiques de la
Nouvelle-Orléans, devenus des standards, pour se les
réapproprier en essayant de les traiter différemment,
n’a rien de révolutionnaire. Beaucoup
l’ont fait et le feront encore avec plus ou
moins de bonheur. La gageure est de parvenir à donner
un sens à cette tentative de fabrication du neuf à
partir de l’ancien. Thierry Ollé a pensé son
affaire et l’on comprend pourquoi il s’en
est donné le temps.
Son jeu est nourri de nombreuses influences digérées
que sa technique exprime avec facilité : Hank
Jones, Sir Roland Hanna, Barry Harris, Thelonious
Monk, Ahmad Jamal mais aussi Erroll Garner, Gene
Harris ou Monty Alexander pour le côté le plus
flamboyant... Au fil des interprétations, sa culture
les exprime avec une rare maîtrise. Sans tentation de
copie, elles émergent avec naturel dans le flot du
discours musical.
Comme tout musicien de jazz qui se respecte, ces
thèmes, nos trois compères les ont joués et rejoués
des centaines de fois. Ils les connaissent en
profondeur. Ils pourraient avoir le sentiment
d’en avoir fait le tour mais ils savent que si
ce matériau a traversé ainsi les époques, repris et
illustré par les plus grands, c’est que,
intrinsèquement, sa richesse est grande et
qu’il convient d’adopter vis à vis de lui
une attitude à la fois humble et passionnée sans
exclure la créativité. Thierry Ollé apporte sa
contribution par une subtile harmonisation, voire une
véritable transfiguration des thèmes. De ce point de
vue, l’interprétation de Saint James Infirmary
ne constitue qu’une évocation de
l’œuvre originale et, avec moins de
modestie, le pianiste et le contrebassiste auraient
pu signer la pièce sans que personne n’y trouve
rien à redire !
Enfin, il ne suffit pas, pour convaincre, de prendre
des thèmes, aussi beaux soient-ils, et de les jouer
du mieux possible pour réussir un bon disque,
captivant pendant plus d’une heure ! Il
faut penser le traitement que l’on adoptera
pour chacun d’entre eux, rechercher de la
diversité tant du point de vue de la couleur que du
rythme (vous en trouverez ici un florilège), donner à
l’ensemble une cohérence, en un mot, un style.
Les plus grands y parviennent avec la fausse
apparence de la facilité, en faisant mine
d’expédier une séance d’enregistrement en
quelques heures. Le croire serait oublier le travail
en solitaire et la fréquence des concerts qui,
l’un et l’autre, forgent la pensée
musicale, l’approche personnelle - et
collective dans le cas de formations régulières - de
chaque morceau.
Tout cela, et vraisemblablement beaucoup
d’autres choses encore, Thierry Ollé l’a
pensé avant d’entrer en studio les 8, 9 et 10
septembre derniers. Et cela s’entend.
À ses côtés, la présence des deux autres musiciens
n’est en aucune manière le fruit du hasard.
Comme lui, ils partagent, les oreilles grandes
ouvertes, une même passion pour cette musique dont
l’essence demeure le swing. Elle les réunit
au-delà de l’amitié qui les lie. Cela
s’entend aussi.
Serge Oustiakine donne une belle assise au trio avec
une justesse et une pulse qui réjouissent. Ses
courtes interventions en solo sont sobres et
efficaces. J’apprécie moins ses talents de
chanteur (Someday You’ll Be Sorry et What A
Wonderful World) bien que ses interventions vocales
donnent une diversité supplémentaire à
l’ensemble.
Guillaume Nouaux, que l’on connaît comme
l’un des meilleurs batteurs de style New
Orleans de la planète, dévoile, à ceux qui le
connaissent encore insuffisamment, ses multiples
visages. Chacune de ses interventions en soliste
réjouira par sa richesse et sa variété…
Je n’en dirai pas plus, préférant vous laisser
le soin de découvrir par vous-même cette réussite.
Courez chez votre disquaire préféré.
Dominique Burucoa
(Jazz Classique
n°54)