Johnny Varro Swing 7

Johnny Varro (p,
lead, arr.), Randy Sandke (tp) Dan Barrett (tb), Ken
Peplowski (cl, as), Scott Robinson (ts), Frank Tate
(b), Joe Ascione (dm).
Johnny Varro est un pianiste, arrangeur et chef
d’orchestre encore assez méconnu dans notre
pays. Il débute sa carrière aux côtés de Bobby
Hackett en 1953, puis remplace Ralph Sutton au club
d’Eddie Condon en 1957. Il s’associe
ensuite avec Condon jusqu’à son départ pour la
Floride au milieu des années 60. Il joue beaucoup et
avec de nombreux musiciens et forme son septette au
début des années 90. Arbors rend hommage à cet
important musicien en publiant un dixième disque sous
son nom (solo, duo avec Ralph Sutton, quartette et
désormais quatre disques à la tête du Swing 7).
Parmi ses influences pianistiques, Johnny Varro
revendique en premier lieu celles de Jess Stacy et de
Teddy Wilson. On les retrouvera aisément dans son
jeu, marqué par une virtuosité apaisée, un beau
toucher, une souple aisance, un sens harmonique très
sûr au service d’idées qui vont droit au but.
Un swing constant et léger parachève le tout. Soliste
prenant qui sait varier les plaisirs - écoutez les
mesures en “stride“ de Ring Dem Bells
(l’un des chefs-d’œuvre offerts,
qui ne donne pas pour rien son nom au disque) ou de
One, Two Button Your Shoe ou encore un bref passage
en “block chords“ -, c’est aussi un
fantastique accompagnateur qui stimule les solistes
et émerveille à ce titre en bien des endroits
Mais ce qui frappe avant tout à l’écoute de ce
disque, comme d’ailleurs des précédents mais
peut-être plus encore dans ce dernier, est
l’efficacité de son écriture d’arrangeur,
son art de coloriste sachant exploiter toute la
palette offerte par l’instrumentation du
septette appréhendée comme un mini big band. Chaque
arrangement ravit l’oreille tout au long des
interprétations, dans l’exposé des thèmes comme
dans l’accompagnement des solistes. Certains
d’entre eux constituent de véritables
compositions, très fouillées et remarquables, qui
apportent un éclairage nouveau et singulier à des
thèmes pourtant fort connus (Come Sunday, par
exemple). Tout est pensé avec un goût exquis
jusqu’à la place des solistes dans chaque
morceau et l’incorporation de leur mise en
évidence dans le cadre des passages arrangés sans
oublier le choix des tempos. C’est aussi la
signature d’un grand chef d’orchestre !
Il faut apprécier comment il donne à Joe Ascione
toute sa place tout en évitant le traditionnel solo
de batterie, comment il encadre chaque solo de
contrebasse pour éviter l’impression de
monotonie… C’est un orfèvre !
Dans le livret, Michael Steinman, son signataire,
rapporte le propos du chef d’orchestre : «
J’écris très simplement, tout au moins
c’est ce que je pense faire. Et ces types
connaissent mon style… » Oui, ils le
connaissent à la perfection et interprètent les
passages les plus complexes avec une apparente
facilité déconcertante même, d’ailleurs,
lorsqu’ils ne jouent pas la musique de leur
chef d’orchestre mais une œuvre de
référence comme le chef-d’œuvre arrangé,
signé Charlie Shavers, de Minute Waltz de Chopin dont
l’orchestre de John Kirby avait donné la
version que l’on pensait pourtant définitive.
La seule lecture du nom des musiciens éclaire
immédiatement l’amateur. L’audition le
confirmera pleinement dans la haute opinion
qu’il se fait d’eux. Ils sont tous
remarquables ! Oui, tous ! Il m’est arrivé
d’exprimer, parfois, une opinion mitigée après
avoir écouté en concert tel ou tel d’entre eux.
Cette impression d’un moment précis ne reflète
pas obligatoirement, qu’on se le dise,
l’opinion générale que je me fais d’un
musicien. L’admiration que je leur porte
n’obère pas obligatoirement mon sens critique.
Ainsi pour Scott Robinson, on se souviendra peut-être
de mes réserves sur ses prestations dans le compte
rendu que j’avais fait du festival
d’Ascona 2007 voire pour certains de ses
disques. Dans celui-ci, il est éblouissant ! Certes,
on ne trouvera pas chez lui la sonorité large et
charnue des plus impressionnants “Texas
tenors“, plutôt celle d’un Quinichette,
mais il sera donné de découvrir - si ce n’est
déjà fait ! - un grand musicien et un sacré swingman
! Le phrasé est ici souvent remarquable et
dévastateur exprimant une véritable science
harmonique, une virtuosité sans faille et une totale
liberté rythmique.
Tout le monde joue ici à son meilleur niveau porté
par l’Art de Varro et par une rythmique toute
en souplesse, unie comme les trois doigts d’une
main. Chacun s’exprime dans un langage partagé,
avec une envie sensible, en totale liberté à
l’instar de Sandke qui se lâche dans ses quatre
chorus superbes sur Ring Dem Bells.
Il faudrait détailler le jeu de chacun d’entre
eux, analyser chaque interprétation mais cela nous
mènerait incontestablement bien au-delà d’une
simple chronique. Nous laisserons donc au lecteur le
bonheur de la découverte en l’engageant
vivement à partager notre bonheur à l’écoute de
ce disque estampillé “100% swing“ !
Dominique Burucoa
(Jazz Classique
n°55)