Johnny Varro Swing 7

Varro
Ring Dem Bells. Arbors ARCD 19362. Corner Pocket - Stompy Jones - Yours Is My Heart Alone - Sweet Substitute - Softly, As in a Morning Sunrise - Ring Dem Bells - Only a Rose - Come Sunday - Suddenly It’s Spring - Shim-Me-Sha-Wabble - You Stepped Out of a Dream - Minute Waltz - One, Two Button Your Shoe - Buddy Bolden’s Blues - Sonny Speaks. Durée : 72’56.

Johnny Varro (p, lead, arr.), Randy Sandke (tp) Dan Barrett (tb), Ken Peplowski (cl, as), Scott Robinson (ts), Frank Tate (b), Joe Ascione (dm).
Johnny Varro est un pianiste, arrangeur et chef d’orchestre encore assez méconnu dans notre pays. Il débute sa carrière aux côtés de Bobby Hackett en 1953, puis remplace Ralph Sutton au club d’Eddie Condon en 1957. Il s’associe ensuite avec Condon jusqu’à son départ pour la Floride au milieu des années 60. Il joue beaucoup et avec de nombreux musiciens et forme son septette au début des années 90. Arbors rend hommage à cet important musicien en publiant un dixième disque sous son nom (solo, duo avec Ralph Sutton, quartette et désormais quatre disques à la tête du Swing 7).
Parmi ses influences pianistiques, Johnny Varro revendique en premier lieu celles de Jess Stacy et de Teddy Wilson. On les retrouvera aisément dans son jeu, marqué par une virtuosité apaisée, un beau toucher, une souple aisance, un sens harmonique très sûr au service d’idées qui vont droit au but. Un swing constant et léger parachève le tout. Soliste prenant qui sait varier les plaisirs - écoutez les mesures en “stride“ de Ring Dem Bells (l’un des chefs-d’œuvre offerts, qui ne donne pas pour rien son nom au disque) ou de One, Two Button Your Shoe ou encore un bref passage en “block chords“ -, c’est aussi un fantastique accompagnateur qui stimule les solistes et émerveille à ce titre en bien des endroits
Mais ce qui frappe avant tout à l’écoute de ce disque, comme d’ailleurs des précédents mais peut-être plus encore dans ce dernier, est l’efficacité de son écriture d’arrangeur, son art de coloriste sachant exploiter toute la palette offerte par l’instrumentation du septette appréhendée comme un mini big band. Chaque arrangement ravit l’oreille tout au long des interprétations, dans l’exposé des thèmes comme dans l’accompagnement des solistes. Certains d’entre eux constituent de véritables compositions, très fouillées et remarquables, qui apportent un éclairage nouveau et singulier à des thèmes pourtant fort connus (Come Sunday, par exemple). Tout est pensé avec un goût exquis jusqu’à la place des solistes dans chaque morceau et l’incorporation de leur mise en évidence dans le cadre des passages arrangés sans oublier le choix des tempos. C’est aussi la signature d’un grand chef d’orchestre ! Il faut apprécier comment il donne à Joe Ascione toute sa place tout en évitant le traditionnel solo de batterie, comment il encadre chaque solo de contrebasse pour éviter l’impression de monotonie… C’est un orfèvre !
Dans le livret, Michael Steinman, son signataire, rapporte le propos du chef d’orchestre : « J’écris très simplement, tout au moins c’est ce que je pense faire. Et ces types connaissent mon style… » Oui, ils le connaissent à la perfection et interprètent les passages les plus complexes avec une apparente facilité déconcertante même, d’ailleurs, lorsqu’ils ne jouent pas la musique de leur chef d’orchestre mais une œuvre de référence comme le chef-d’œuvre arrangé, signé Charlie Shavers, de Minute Waltz de Chopin dont l’orchestre de John Kirby avait donné la version que l’on pensait pourtant définitive.
La seule lecture du nom des musiciens éclaire immédiatement l’amateur. L’audition le confirmera pleinement dans la haute opinion qu’il se fait d’eux. Ils sont tous remarquables ! Oui, tous ! Il m’est arrivé d’exprimer, parfois, une opinion mitigée après avoir écouté en concert tel ou tel d’entre eux. Cette impression d’un moment précis ne reflète pas obligatoirement, qu’on se le dise, l’opinion générale que je me fais d’un musicien. L’admiration que je leur porte n’obère pas obligatoirement mon sens critique. Ainsi pour Scott Robinson, on se souviendra peut-être de mes réserves sur ses prestations dans le compte rendu que j’avais fait du festival d’Ascona 2007 voire pour certains de ses disques. Dans celui-ci, il est éblouissant ! Certes, on ne trouvera pas chez lui la sonorité large et charnue des plus impressionnants “Texas tenors“, plutôt celle d’un Quinichette, mais il sera donné de découvrir - si ce n’est déjà fait ! - un grand musicien et un sacré swingman ! Le phrasé est ici souvent remarquable et dévastateur exprimant une véritable science harmonique, une virtuosité sans faille et une totale liberté rythmique.
Tout le monde joue ici à son meilleur niveau porté par l’Art de Varro et par une rythmique toute en souplesse, unie comme les trois doigts d’une main. Chacun s’exprime dans un langage partagé, avec une envie sensible, en totale liberté à l’instar de Sandke qui se lâche dans ses quatre chorus superbes sur Ring Dem Bells.
Il faudrait détailler le jeu de chacun d’entre eux, analyser chaque interprétation mais cela nous mènerait incontestablement bien au-delà d’une simple chronique. Nous laisserons donc au lecteur le bonheur de la découverte en l’engageant vivement à partager notre bonheur à l’écoute de ce disque estampillé “100% swing“ !

Dominique Burucoa
(Jazz Classique n°55)