Bireli Lagrène

Plage 11 : Tiger
Rag. N’importe quelle anthologie de guitare
digne de ce nom (tous styles confondus) devra
désormais inclure cette interprétation : la
virtuosité, le swing et l’imagination s’y
retrouvent, ficelés avec humour, pendant les 2
minutes 47 les plus réjouissantes qui soient. Biréli
s’amuse, nous surprend à chaque coin de chorus,
balance des breaks inattendus et jamais identiques et
conclut avec naturel par quelques mesures de valse.
Il y a alors quelque chose de la fantaisie et de la
verve d’un Bernard Addison chez Biréli.
Revoici donc Biréli Lagrène. Celui dont le nom, pour
un large public, symbolise à lui seul le jazz
manouche, celui qui cristallise toutes les
représentations qu’on peut se faire de cette
musique. Celui dont on a dit, une fois pour toutes,
qu’il était le meilleur. Podium tellement
pratique pour les médias (et pour certains amateurs :
c’est rassurant, les classements). Il faut dire
que le jeune homme a mis la barre tellement haut, et
depuis si longtemps, qu’on n’attend plus
de lui une musique «simplement» brillante mais on
compte bien qu’il nous emmène sur des chemins
qui ne ressembleront à aucun autre. Son Lullaby Of
Birdland est teinté de blues, son Limehouse Blues
fait dialoguer la guitare avec la contrebasse de
Diégo Imbert, le choix de thèmes peu joués ravive le
répertoire manouche et donne l’occasion de
s’aventurer sur des harmonies nouvelles mais
pas hostiles au style de Biréli, notamment le beau
Something de George Harrison. La formule du trio
(Hono Winterstein est, bien entendu – et on
l’entend bien – à la guitare rythmique)
laisse reposer tout le travail du soliste sur les
épaules de Biréli ; en contrepartie, il offre un
grande liberté et une large place à la créativité.
Biréli Lagrène use donc de l’une et de
l’autre avec le talent que l’on sait,
avec cette envie d’aller voir ailleurs qui le
caractérise, sans jamais rompre avec la tradition.
Enthousiasmant.
Ce serait presque parfait... Car le CD contient une
innovation : le “malus track“. La
dernière plage du disque peut surprendre : Be My
Love, rengaine sentimentale arrosée à la guimauve en
son temps par Mario Lanza (dont Jerry Lewis tira un
sketch, c’était trop tentant) est ici chantée
par... Roberto Alagna ! Oui, le fameux ténor
d’opéra... Si vous aimez les grandes voix
lyriques à la Luis Mariano, si vous aimez le bel
canto sonore, si vous aimez les rencontres insolites
entre les machines à coudre et les parapluies, alors
seulement vous serez conquis par cette... expérience.
Dominique Périchon
(Jazz Classique
n°58)