Bireli Lagrène

Lagrène
Gipsy Trio. Dreyfus Jazz FDM 46050 369272. Lullaby Of Birdland - New York City - Le Soir - Limehouse Blues - Poinciana - Schön Rosemarin / Night And Day - Sir F.D. - Something - Made In France - Singin’ In The Rain - Tiger Rag - Change Partners - Micro - Be My Love. Durée : 46’56.

Plage 11 : Tiger Rag. N’importe quelle anthologie de guitare digne de ce nom (tous styles confondus) devra désormais inclure cette interprétation : la virtuosité, le swing et l’imagination s’y retrouvent, ficelés avec humour, pendant les 2 minutes 47 les plus réjouissantes qui soient. Biréli s’amuse, nous surprend à chaque coin de chorus, balance des breaks inattendus et jamais identiques et conclut avec naturel par quelques mesures de valse. Il y a alors quelque chose de la fantaisie et de la verve d’un Bernard Addison chez Biréli.
Revoici donc Biréli Lagrène. Celui dont le nom, pour un large public, symbolise à lui seul le jazz manouche, celui qui cristallise toutes les représentations qu’on peut se faire de cette musique. Celui dont on a dit, une fois pour toutes, qu’il était le meilleur. Podium tellement pratique pour les médias (et pour certains amateurs : c’est rassurant, les classements). Il faut dire que le jeune homme a mis la barre tellement haut, et depuis si longtemps, qu’on n’attend plus de lui une musique «simplement» brillante mais on compte bien qu’il nous emmène sur des chemins qui ne ressembleront à aucun autre. Son Lullaby Of Birdland est teinté de blues, son Limehouse Blues fait dialoguer la guitare avec la contrebasse de Diégo Imbert, le choix de thèmes peu joués ravive le répertoire manouche et donne l’occasion de s’aventurer sur des harmonies nouvelles mais pas hostiles au style de Biréli, notamment le beau Something de George Harrison. La formule du trio (Hono Winterstein est, bien entendu – et on l’entend bien – à la guitare rythmique) laisse reposer tout le travail du soliste sur les épaules de Biréli ; en contrepartie, il offre un grande liberté et une large place à la créativité. Biréli Lagrène use donc de l’une et de l’autre avec le talent que l’on sait, avec cette envie d’aller voir ailleurs qui le caractérise, sans jamais rompre avec la tradition. Enthousiasmant.
Ce serait presque parfait... Car le CD contient une innovation : le “malus track“. La dernière plage du disque peut surprendre : Be My Love, rengaine sentimentale arrosée à la guimauve en son temps par Mario Lanza (dont Jerry Lewis tira un sketch, c’était trop tentant) est ici chantée par... Roberto Alagna ! Oui, le fameux ténor d’opéra... Si vous aimez les grandes voix lyriques à la Luis Mariano, si vous aimez le bel canto sonore, si vous aimez les rencontres insolites entre les machines à coudre et les parapluies, alors seulement vous serez conquis par cette... expérience.

Dominique Périchon
(Jazz Classique n°58)