ETRE OU NE PAS ETRE UN
“CAT”
récit autobiographique
Jean Osmont ne serait-il
pas la réincarnation de Scat Cat, le swingant matou
des “Aristochats“, celui-là même qui jouait de
la trompette pour son seul plaisir sous les toits de
Paris ? Un félin épicurien et distingué qui ne vibre
que pour la musique et ses plaisirs dérivés : créer,
rencontrer, essayer, se risquer, s’émerveiller et
patauger dans la gaieté ! Bref, vivre…
Jean Osmont se
souvient…
Il se souvient et écrit le
jazz, son histoire du jazz, telle qu’il l’a
vécue entre Paris et le Sud-Ouest.
Etre né en 1921 et avoir
croisé Sandy Williams, Louis Armstrong et Rex Stewart,
aperçu Valaida Snow et fabriqué une sourdine pour Doc
Cheatham, voilà qui donne le droit de s’en flatter et
l’envie de le raconter :
« Quelques mois plus tard, Doc
Cheatham en tournée dans le Midi, était à l’affiche
du théâtre toulousain Daniel Sorano, qui organisait
régulièrement de bons concerts de jazz. Heureux temps ! Je
vins donc saluer ce célèbre «Doc» qui se souvint fort bien
de notre rencontre niçoise. Et, je vous le demande, de quoi
peuvent bien parler deux trompettistes à la fin d’un
concert ? Pour illustrer mon propos, j’avais apporté
une sourdine assez spéciale. En effet, je venais de
bricoler cet engin avec un morceau de bobine conique de
métier à tisser, accouplé à une boîte cylindrique
d’une marque fort connue de... soutien-gorge ! [...]
Eh bien ! Le croirez-vous, ma géniale sourdine parfaitement
bricolée était on ne peut plus juste ! Doc Cheatham
n’en crut pas ses oreilles ! Il joua plusieurs
morceaux dans des tonalités et registres différents pour
essayer de prendre en défaut ma sourdine d’amateur.
N’y parvenant pas, il mit fin à cette expérience en
me faisant part de son étonnement. Il s’apprêtait à
remettre sa trompette dans son étui lorsque j’eus la
bonne, et logique, idée de lui offrir ma curieuse
invention. Il apprécia tellement ce petit cadeau
qu’il me tendit spontanément, en échange, sa propre
embouchure, en m’assurant que je n’en trouverai
jamais de meilleure. »
Mais là où d’autres
se seraient contentés du trop fameux refrain « Je
l’ai bien connu : je lui ai serré la
main », Jean Osmont dessine des portraits justes et
émouvants (il est peintre aussi), la gouache légère, le
fusain amusé. Pas de nostalgie dans ses souvenirs, et
encore moins de passéisme, mais l’envie de partager
le récit de sa vie comme un bon repas.
Il n’y avait plus
guère que cette corde - écrire - qui manquât à son arc. Car
Jean Osmont n’est pas qu’un amateur passionné
qui a découvert le jazz à 16 ans comme tout le monde :
c’est un musicien, un vrai, qui souffla (trombone,
trompette, saxophone), percuta (piano, vibraphone) et en
pinça même (contrebasse) dans les boîtes de la capitale et
les environs du Capitole. Et comme il ne peut rien faire
d’ordinaire, si ses instruments de prédilection
restent la trompette et le trombone, quand il joue du
piano, c’est avec Django Reinhardt :
« J’étais vraiment dans mes
petits souliers car je suis un souffleur considérant le
piano comme un instrument d’étude. A La Roulotte, les
musiciens étaient déjà en place et je fus littéralement
catapulté derrière le clavier pour attaquer le premier
thème. Inconscience de la jeunesse ! Ayant fort
heureusement joué les mois précédents avec Joseph
[Reinhardt], je connaissais par conséquent une bonne partie
du répertoire des manouches. De toute la soirée, Django ne
gratifia ses musiciens du moindre regard. Quelle chance
pour moi Chacun d’ailleurs craignait le redoutable
«oeil noir» qu’il lançait en se retournant vers les
responsables d’une faute, si minime fût-elle ! »
Homme de radio,
chroniqueur pour les revues de jazz, on a du mal à trouver
un domaine où Jean Osmont n’ait pas posé son
empreinte, j’allais dire sa « patte » de
cat. Et c’est une aubaine pour tous les amoureux du
jazz que sa nouvelle passion (la sculpture !) lui ait
laissé quelque loisir, le temps de nous offrir ces pages
pour remercier les bonnes fées de lui avoir accordé le plus
beau des dons : l’enthousiasme.
Dominique Périchon
NUMERO
SPECIAL DU MAGAZINE JAZZ CLASSIQUE - 10 euros
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