Christian Bonnet
Je suis plutôt
embarrassé pour parler de “Bright
Mississippi“ car très réservé sur le résultat
des efforts des musiciens réunis sous la houlette de
l'ami Allen (que d'ailleurs j'ai eu la chance de
renconter et d'écouter avec plaisir en février
dernier à NOLA). Respectable et aimable musicien
lorsqu'il joue sa propre musique (j'ai patiemment
écouté ses dernières productions binaires sur
Deezer, pas mal dans le genre), force est de
constater, en tout cas si on ouvre attentivement ses
oreilles que les choses s'aggravent quand il
s'en prend à un certain répertoire qui semble le
dépasser complètement. Il est dans la
tradition des jazzmen de reprendre les bons vieux
thèmes de l'âge d'or et les hérauts de
cette musique, de Benny Goodman à Miles Davis, ont
joué ce jeu avec un certain bonheur. Prenons le cas
de Singin' The Blues, emblématique de la
démarche générale de l'album : entre révérence dévote
et broderies inconsistantes, l'auditeur est
loin d'y trouver son compte. Il le trouve cependant à
l'écoute du même morceau par (prenons volontairement
des exemples étalés dans le temps) Fletcher Henderson
en 1931, Lionel Hampton en 1939 ou Zoot Sims-Bob
Brookmeyer en 1958. Pourquoi ? Tout simplement
parce que les susnommés, contrairement à
Toussaint, avaient une personnalité musicale
suffisamment affirmée pour s'affranchir du modèle
initial (en l'occurrence Bix/Tram) et développer
sur cette jolie mélodie un authentique démarche de
jazzman.
Parlons des moyens humains en présence : si Nicholas
Payton est impérial dans ce genre
de figures imposées (quel beau son, on aurait
apprécié qu'il se débride un peu), Don Byron est
"border line" dans ses quelques solos (quel
vilain son !), Marc Ribot se contente d'aligner
les clichés sur une guitare aussi sèche que ses
idées, le leader, lui, frise l'indigence dans presque
toutes ses interventions, et le batteur est ce qui se
fait de plus "pied de plomb" dans le genre (il rend
quasiment inaudible Egyptian Fantasy, Singin' The
Blues et même le binaire Bright Mississippi...).
Des deux invités, Joshua Redman est celui qui s'en
tire le mieux, le pauvre Brad Mehldau se faisant
marcher sur les pieds par ceux, beaucoup plus lourds
que les siens, d'Allen Toussaint...
Le morceau le plus attrayant serait peut-être Long,
Long Journey qui met en valeur Toussaint blues
singer, exercice dans lequel, sans vraiment exceller,
il se montre plutôt à son avantage (et puis le
batteur s'est mis aux balais, ouf...)
Bon, je suis sévère, mais j'ai appris à être
exigeant, et il y a suffisamment d'artistes qui
produisent des choses de qualité pour ne pas
systématiquement renifler les culottes de certaines
gloires aux relents passablement
frelatés.