Jean-François Bonnel
"It don't mean a
thing if it ain't got that swing". J'ai le sentiment
que cette profession de foi n'est plus au goût du
jour dans le monde du jazz "bien pensant" aujourd'hui
! L'écoute de ce CD d'Allen Toussaint me laisse un
sentiment mitigé. Ce n'est pas franchement mauvais
car on ne trouve ici que des bons musiciens, et parmi
ceux-ci certains que j'aime bien : Nicholas Payton,
Don Byron et Joshua Redman. Mais ce n'est pas bon non
plus. Tous les morceaux sont interprétés "binaire"
(en grande partie à cause du jeu de piano d'Allen
Toussaint) ; ce n'est pas non plus franchement blues
mais plutôt "bluesy" (ah, on l'aime bien la penta
mineur 7 !!).
En plus on ratisse large : un peu de Bechet, un peu
d'Armstrong, un peu de Morton (New Orleans oblige !),
un peu de Django (centenaire oblige !!), un peu
d'Ellington (pouvait on faire sans ?? !!).
Le sentiment que me laisse ce CD après plusieurs
écoutes est la mollesse et une sensation de travail
bâclé, qui passera pour de la spontanéité chez
certains chroniqueurs soi-disant avisés : fautes
d'harmonies pour Don Byron dans Egyptian Fantasy,
pour Payton dans Singing The Blues… Je ne vais
pas passer tout le CD, rassurez-vous ; et qu'on ne se
méprenne pas, je sais la différence entre "jouer en
dehors des harmonies" et "faire des fautes
d'harmonie" !
La présence de Brad Meldhau dans le Winning Boy de
Morton me semble motivée plus par une nécessité
"marketing" que musicale car le résultat en est pour
moi une sorte de bouillie musicale sans intérêt.
Celui qui me déçoit le plus ici est Payton, que j'ai
entendu plusieurs fois dans d'autres contextes et qui
m'avait littéralement scotché. Ici, je le trouve très
mollasse, sans flamme, faisant même des "fautes
d'esthétique" (je ne sais pas très bien comment
appeler ça !) abusant de “dégueulandos“
dans Singing The Blues, par exemple.
Mis à part tout ceci qui, ma foi, ne serait pas bien
grave, ce qui pose un sérieux problème, c'est l'écho
que trouve cette production dans les instances
culturelles et dans la presse "spécialisée" : FFFF
dans Télérama (Michel Contat), "Choc" dans Jazzman
avec le commentaire "miraculeux" (Sebastien Danchin)
!!! De plus, il paraîtrait que ce CD serait en train
de rafler pas mal de prix des différentes Académies
culturelles. Ce sont les mêmes (chroniqueurs,
institutions) qui sont les premiers à accuser Wynton
Marsalis de prétention et d'académisme. Mais merde
quoi !! Wynton est peut-être prétentieux mais lui
s'est penché sérieusement sur l'histoire du Jazz, il
sait swinguer et jouer le jazz ! Mais c'est peut-être
ça qui est qualifié d'académisme : le Jazz et le
Swing.
On est en train d'encenser un disque médiocre et, à
côté de ça, il existe plein de musiciens et de
productions musicales valables qui passent
complètement inaperçus.
Quand se décidera-t-on, enfin, dans les "instances
culturelles", qu'elles soient du domaine des médias
ou des domaines officiels comme le ministère de la
culture ou le CNFPT pour l'enseignement, à faire la
différence entre le Jazz proprement dit et les autres
musiques : musiques dites actuelles, musiques dites
contemporaines, improvisées ou non, ou bien musiques
commerciales jazzy ???
Il serait temps de redonner aux mots ou appellations
leurs sens réels et originels !
"It don't mean a thing if it ain't got that swing"
!!!