Dan Vernhettes
J'ai écouté le CD
hier soir, avec Lill, mon épouse, car j'aime bien
avoir ses réactions, son "autre regard".
Je ne comprends pas bien l'intention de Toussaint.
D'après le titre Bright Mississippi on pourrait
penser à une recherche des racines. Cette impression
étant renforcée par le traitement rythmique de la
plupart des morceaux, façon New Orleans, en 2/4.
D'ailleurs j'aime beaucoup cette façon de mettre
l'emphase sur la contrebasse et la batterie, c'est
certainement ce qui m'a le plus accroché. C'est aussi
au moment du solo de basse, je devrais dire de
rythmique, que le disque décolle un peu.
Les points faibles :
- Le clarinettiste
qui " joue des notes" sur Just a Closer Walk comme le
ferait n'importe quel musicien... alors que ce
morceau est juste un morceau d'émotion.
- L'hétérogénéité du projet. Que vient faire Brad
Meldhau ? Que vient faire Joshua Redman (par
ailleurs excellent). Leur présence casse l'identité
louisianaise du projet, casse l'homogénéité. Solitude
n'a rien à voir là-dedans. Par contre le morceau de
Django est réussi.
On ne sait pas trop
ce qui est visé. Lill a résumé : "Il y a trop de
styles", bien vu ! Ou alors il fallait intituler le
disque : “My Favorite Tunes“, et les
traiter tous différemment au risque de la dispersion.
Payton joue magnifiquement bien, mais sans prendre
aucun risque. Cela donne une musique très propre, je
dirais une musique “Obamaïsée“, en quête
de respectabilité, très révélatrice de l'état
d'esprit de certains musiciens de New Orleans (Irvin
Mayfield… qui veut se présenter à la mairie de
la ville par exemple, pourquoi pas après
tout…). Costume propre, cravate non tachée,
chemise immaculée, chaussures de luxe. Comme leurs
costards, leur musique est super bien faite, piano
super juste, enregistrement super, mais je ne leur
donnerais pas un prix.
Je ne dirais pas non plus que c'est tendance
variétés. Je ressens plutôt une perte de repères, un
manque de direction, une interrogation sur l'identité
: on est qui, on joue quoi ? et pour qui... et
peut-être pourquoi. Conclusion : on a des racines
formidables, mais on fait quoi avec ?
Ça m'intéresserait de savoir ce qu'Allen a voulu
vraiment faire. Si je le vois à N.O., en avril, je le
lui demanderai.
Mais cette interrogation des musiciens d'autres pays
peuvent aussi se la poser.
A la réflexion, ce désir de respectabilité, du propre
sur soi, va bien au-delà des musiciens de N.O. On
trouve ça ici aussi, c'est l'effet jeunes cadres, les
gars qui ont appris dans les écoles. Ils ont tous un
super talent, mais pas tous le truc. Il n'y a plus
d'ouvriers qui jouent de la musique, seulement des
bobos. J'en arrive presque à comprendre les punks.
C'est marrant de mettre en rapport ce désir de quasi
hygiénisme et la déstructuration de la société...
Pour la peine je vais écouter Kid Thomas, là au moins
je me sens mieux.